Une Ascension, Pauline Desnuelles
Editions Slatkine, Genève 2023
Roman
Depuis la disparition de son mari Théo dans une avalanche, Aurore vit seule avec Laure, sa fille adolescente. Grâce à son travail de journaliste, elle découvre la vie de Marguette Bouvier, première femme, dans les années 30, à descendre le Mont-Blanc à ski. Fascinée par cette aventurière aux multiples facettes, Aurore est attirée par la personnalité libre, courageuse et très affirmée de Marguette. A son contact, par biographie interposée, la jeune femme, elle-même passionnée de montagne et de ski, se reconnaît en elle. Elle aspire à vivre une expérience semblable où se dépasser est synonyme de survie. Puis la nécessité de reprendre le dessus, soudain, devient une évidence. Aurore réalisera finalement une ascension vers le glacier de l’Allalin. Mais tout n’est pas si simple… Comment réussira-t-elle à dépasser ses limites ?
Avec son nouveau roman, Une Ascension, Pauline Desnuelles nous emmène dans une progression toute particulière, la quête intime d’Aurore, héroïne tourmentée par un deuil blanc. Une ascension intérieure longue et douloureuse pour se retrouver, exister à nouveau et cheminer avec l’absence obsédante de Théo, cet alpiniste pour qui la montagne passait avant tout. Face à ce drame, l’auteure nous livre les sentiments contradictoires qui envahissent aujourd’hui Aurore : tristesse, colère, impression de néant, envie d’aimer, mais besoin de solitude, manque de l’autre, mais rage d’une vie de couple ratée… Suffit-il de remplir un vide pour tout oublier et écrire un nouveau chapitre ? Ou bien faut-il compter sur le temps ?
Un récit à quatre voix où certaines émotions féminines se font écho. Des mots justes et sans détour au milieu d’une écriture fine et touchante, pour décrire la montagne et ses pièges, mais aussi le cœur et ses désillusions. Le déroulement passionnant et constructif de l’histoire nous emporte malgré nous jusqu’à un dénouement ouvert à tous les possibles. Un livre à ne pas manquer !
Recension Marylène Rittiner
Extrait pages 145-146
En fait, je voulais être une aventurière. Je voulais braver la montagne. L’explorer et prendre des risques, comme je l’avais fait en Afrique, bien avant Théo.
J’aurais voulu être une skieuse agile, dévaler comme lui les pentes enneigées à toute berzingue. J’attendais qu’il m’initie. J’attendais je ne sais quoi. Il n’avait nulle envie de transmettre, ni à moi ni à personne, éventuellement à sa fille, et encore… Il voulait se frotter aux plus forts, aux plus fous. Théo, l’amoureux des sommets, moi happée par sa passion mais stoppée dans mon élan.
Théo n’est plus là, mon désir d’aventure est intact.
Pas question de reprendre le journalisme d’investigation sur d’autres continents comme je le pratiquais avant mon mariage. Ma vie est ici, avec Laure. La montagne m’appelle, elle est toute proche.
J’ai envoyé des e-mails à plusieurs associations. Le président des Amis de la montagne m’a rappelée, j’ai aimé sa voix grave, bienveillante, sa diction lente. […]
Puis un guide indépendant m’a contactée. Jacob. L’association Aventures alpines, dont il était membre, lui avait transmis ma demande. Au téléphone, il m’a paru très jeune. Il avait aimé la spontanéité de mon message. Son planning était chargé, mais il avait une possibilité le week-end suivant. […]
[…] Sur un petit parking au milieu de nulle part, nous avons mis les peaux de phoque sur nos skis. Et nous sommes montés. C’était exactement ce que je voulais.
Monter.
Extrait pages 152-153 (en ascension)
Les bourrasques me déséquilibrent et la neige s’accroche à mes cils. Je crois entendre un hurlement mais c’est le vent qui hulule. Si je m’arrête, je serai saupoudrée de neige puis complètement recouverte, ça fera un petit cône blanc, un tipi neigeux. D’abord je ne sentirai rien, et ce sera même doux. Puis le froid s’immiscera entre les couches de vêtements. Peu à peu, l’air viendra à manquer. Je fermerai les yeux, et je serai enfouie, je ne ferai qu’un avec la montagne, au point de disparaître du monde des humains. Au printemps, on retrouvera mon corps, ma polaire bleu délavé, tout mon attirail de skieuse.
J’avance en pilote automatique. Je finis par apercevoir un amas d’ombres en amont, c’est le groupe. Quelque chose s’allège en moi et je souris de toutes mes dents, très vite pleines de neige. L’énergie revient, je monte deux fois plus vite.
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