Mouches, Mélanie Richoz
Slatkine 2022
Vieillir c’est parfois oublier les choses, les mots, les événements, les gens. C’est parfois aussi confondre les époques, c’est parfois encore, perdre ses repères, ne plus savoir qui l’on est. C’est ce qui arrive à Josiane. Mélangeant le passé et le présent, elle vit dans son monde où se mêlent d’angoissantes pensées, des réminiscences de l’enfance et aussi de joyeux moments. Le transfert en EMS proposé par son médecin et accepté par son fils et ses deux filles, devient dès lors la seule solution raisonnable pour elle.
Avec son nouveau livre Mouches, Mélanie Richoz nous emmène dans l’intimité de son héroïne, Josiane, révélant avec sensibilité l’histoire de sa vie. Une histoire comme tant d’autres, où les épisodes s’enchaînent, malheureux ou déchirants, tendres ou très heureux. Avec tact, l’auteure lève une partie du voile sur les difficultés et les tourments liés au grand âge, sur la perte d’autonomie souvent physique, mais aussi psychologique. Elle décrit avec justesse le désarroi des enfants, leur chagrin, leurs doutes et leur culpabilité dans le placement d’un parent qui s’étiole inexorablement. Elle dépeint également sans détour la peine et le refus des plus jeunes à assister à la décrépitude de grands-parents autrefois si vivant.
Ce livre n’est pas un cri de détresse sur la nouvelle existence en institution de l’héroïne. C’est une balade au fil des pages, d’avant en arrière, dans la mémoire fragmentée de Josiane. Juste la vie d’une fillette, avec ses hauts et ses bas, devenue adolescente, amoureuse, femme et mère de famille. Et si aujourd’hui Josiane est une vieille dame désorientée, il lui reste des bribes de souvenirs, amers ou délicieux, que nous découvrons à travers le récit délicat de Mélanie Richoz. Les mots simples et choisis avec le cœur rendent le texte plus léger, agréable à lire et d’une humanité criante.
Un roman court, mais authentique et chargé d’émotions. Il nous touche au plus profond, nous questionne sur la démence sénile, et sur notre relation à l’humain en perte de vitesse.
À lire et à relire !
Recension Marylène Rittiner
Extrait : p 53-54
Scène où sa fille Stéphanie vient chercher sa mère pour l’emmener au home en scooter.
La fille soulève la longue selle en cuir, en extrait un casque, le tend à la mère. La mère l’enfile. De travers. La fille le lui enfonce sur le crâne d’un coup de paume franc, le réajuste ; de ses doigts fins, elle accroche la sangle sous son menton pour pallier sa maladresse, puis descend machinalement la visière.
A tour de rôle, elles chevauchent le scooter.
La mère, installée à l’arrière, se cramponne à la fille.
La fille enclenche le moteur, démarre. Poussées par le soleil qui placarde leur nuque et allonge leur ombre sur le bitume, elles traversent l’allée bordée de platanes. Elles échappent à l’instant. Le volent. La robe rouge claque dans l’air.
La fille a la gorge nouée.
L’idée d’un accident lui traverse l’esprit. Si le sort les tuait là, toutes les deux, sur le coup, il leur épargnerait les morsures enragées de la maladie qui fait de ses victimes des pantins.
Une main lâche le guidon…
Une main
qui
au ralenti
enveloppe,
réchauffe
et
rassure
celles de sa mère collées contre son ventre.
Les yeux pleins d’eau et des secousses sismiques dans la poitrine, la fille, pour ne pas pleurer, commence à chanter. Una mattina mi sono alzato… D’abord timidement. O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao. Retenue par l’émotion qui fossoie son élan et étouffe sa voix.
L’émotion tout à coup sublimée par le fredonnement de sa mère… Qui chante avec elle. Una mattina mi sono alzato. De plus en plus fort. E ho trovato l’invasor. A poumons déployés. O partigiano portomi via. Comme à l’époque où son père, sa mère, Nicole, Jacques et elle passaient leurs vacances d’été en Italie. Le chœur couvre le bruit de moteur. Dans le vent qui les amène au mouroir, elles hurlent la vie. O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao, ché mi sento mi morir…
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