Mémoire d’une forêt, Antoine Rubin
Editions Torticolis et Frères 2020
Roman
Ce livre raconte l’aventure de jeunes gens à la recherche d’un idéal. À travers les yeux d’Elias, un jeune homme en rupture avec son milieu social, le lecteur pénètre dans un refuge temporaire, un squat où filles et garçons partagent leur vie entre désenchantement et rêves. Un personnage original, plus âgé, fascine Elias. Il se nomme Karhu. Elias et son ami Manu l’ont rencontré faisant les poubelles en ville. Kahru vit dans une cabane une forêt au-dessus de Bienne. Solitaire et renfermé, il ne se livre guère. Néanmoins, à force de fréquenter les rebelles et de rallier leur table, il finit par les inviter dans sa forêt. Depuis ce jour, Elias prend l’habitude de passer le voir de temps en temps entre les petits boulots qu’il fait pour subsister et les grandes conversations qu’il entretient avec ses compagnons de misère autour d’un rêve de voyage : découvrir la Norvège. Peu à peu, celui-ci se précise. Karhu est invité à accompagner le groupe et le projet se concrétise par l’achat de billets d’avion. Cependant, à la veille du départ, le vieil ermite est victime d’un accident ; ses camarades quitteront la Suisse sans lui.
Au milieu de nulle part, dans ce pays qu’ils ne connaissent guère, l’aventure commence enfin.
« C’est Elias qui s’occupe des cartes. Par amour. Il en extirpe une de son sac et, après un bref examen topographique, ils décident de prendre un train pour les emmener à l’orée d’un coin fauve. Quand le paysage leur paraît favorable — la seule indication dont ils ont besoin — ils descendent. Et très vite, ils trouvent une place au bord de l’eau pour établir leur premier campement. La vie s’organise immédiatement autour du foyer qu’Elias prépare dans un lit de galets tandis que Livia et Sylve vont ramasser du bois flotté. Sébastien et Manu n’ont pas pu résister à la tentation de la pêche et jettent déjà leur hameçon dans les remous » p. 247
Le coin leur plaît et les aventuriers prennent des habitudes jusqu’au jour où la bougeotte les rattrape. Ils consultent à nouveau les cartes et optent pour Smøla, en passant par Trondheim. Cependant, peu avant leur départ, Livia déserte la tente d’Elias, son ami attitré, et va rejoindre Manu dans son abri. Le désenchantement s’empare du jeune homme et colore le reste de son séjour. Elias ne suivra pas ses compagnons sur l’île ni ailleurs. Il décide de faire cavalier seul, même s’il rallie le campement le soir. Puis, le retour en Suisse se profile.
« Toujours la même chose. Le dehors hachuré derrière la vitre. Pendant des heures et des heures. Elias en devient hagard, abruti de distance. Son corps est un vieux sac de sport. Il ne ressent plus rien. À la gare de Copenhague, il s’engouffre dans le premier fast-food venu, achète quatre hamburgers et les avale en quelques bouchées, sans plaisir. Une boulimie à la mesure de cette rentrée. Le train pour Hambourg est déjà là.» p. 329
Dans le train de nuit pour Bâle, il rallume son portable qui « vibre à l’infini ». Claire est revenue au squat après ses vacances et lui apprend que Kahru est parti. Il a, semble-t-il, entrepris son dernier voyage. Un jour, avec Claire qui est devenue sa compagne, le jeune homme tombe sur un article de journal annonçant la mort d’un sans-abri dans les gorges du Taubenloch et dont on ignore l’identité. Elias pense au vieil ermite. Il se réconcilie avec Manu et monte à la grotte, juste pour en être sûr. Les mots gravés dans une pierre le renseignent « Karhu et Ann ». Ann, son grand amour perdu.
Ces événements marqueront un tournant dans la vie d’Elias.
« Un jour tout changera radicalement. La première pousse viendra percer le plancher. Le carreau se brisera. Le vent soufflera. Les feuilles s’engouffreront à l’intérieur et puis après elles, la neige s’y amassera. Des trous apparaîtront dans le toit. Le premier mur tombera. Les plantes finiront par repousser et tout recouvrir. Il y aura l’absorption des plantes, la lente digestion des arbres.
»En attendant ce moment, Elias va vivre dans la cabane. Jusqu’à ce qu’ils trouvent l’appartement avec Claire. Elle vient lui rendre visite. Manu aussi, avec qui ils passent quelques nuits à rajouter des bûches dans le poêle.
»Elias essaie de ne pas oublier. Passer l’hiver dans la cabane. Pour écrire et ne pas oublier.
»Il aimerait pouvoir entretenir une mémoire.
»La mémoire d’une forêt.
»Et aussi avoir la paix.»
On se demande si Elias a finalement trouvé cette paix dans une vie qu’il avait tenté de fuir : une compagne, un appart, un boulot, des horaires à respecter, des factures à payer et peut-être même, l’éducation de quelques mômes…
Recension Anne-Catherine Biner
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