Le Chant du Biloba, Cornélia De Preux

Le chant du biloba

Cornélia de Preux, roman, Plaisir de Lire 2016

Après quelques interrogations quant au style des premières pages, et à l'ado impulsive et sans trop d'étoffe au centre de ce roman – mais finalement une ado -, je me suis laissée emmener par cette aventure rocambolesque, pleine de suspense. L'histoire est improbable mais bien portée par le personnage de l'arrière-grand mère qui part à l'aventure et, en parallèle, les états d'âme des parents de la jeune Tiwi et l'enquête des deux policiers provinciaux qui doivent jouer dans la cour des grands. Elle m'a tenue en haleine et je me suis laissée surprendre et ravir par une fin qui nous permet de poursuivre l'aventure tout seuls, pour rechercher, en remontant le fil de l'histoire où celle-ci finalement avait commencé. Je suis volontairement elliptique pour vous laisser la surprise. Une fin qui nous laisse comme suspendu à un trapèze. Oui, c'est bien le sentiment qui se dégage : l'ambiance créée par le style de l'auteur est celle du cirque, de vies de saltimbanques, mêlée de contes, alors même que ce n'est ni le thème, ni le décor de l'histoire. Ambiance alimentée par l'imagination débordante de l'arrière-grand-mère, inspirée de "son amour des mots, des plantes et des animaux".

Jolie complicité entre Tiwi – jeune colombienne adoptée – et Groumma, son arrière grand mère qui utilise l'allégorie pour lui transmettre ses expériences. "Cela se passe en hiver. La température frôle les moins dix. Pour se tenir au chaud, plusieurs porc-épics se serrent très fort les uns contre les autres. Ouille! Mais ça pique! Alors, ils s'écartent. Et de greloter de plus belle. Quand ils ne supportent plus le froid, leur instinct les pousse à se rapprocher à nouveau. Aie! Ça fait mal! Alors, ils s'éloignent d'un pas ou deux. Mais la bise s'engouffre entre leurs piquants. Ils grelottent à nouveau. C'est intenable. Allez, on fait encore un essai, on se tient plus près. Pas trop près quand même. Chaud, mal, froid, mal, chaud. Et de renouveler leur manège jusqu'au moment où ils trouvent la bonne distance" (p. 86). "Groumma incarne à elle seule tous les meilleurs profs du monde. Elle ouvre un tiroir et la leçon commence" (p. 175).

Le chant du biloba prend le contre-pied des romans policiers à la mode, univers glauque histoires sinistres désespérées en nous faisant rêver et actionner notre imagination. Seuls bémols dans le style, de courts passages télégraphiques, juxtaposition de périphrases dont je n'ai pas su percer le mystère s'il y en a un, si ce n'est peut être de provoquer un sentiment de stress.

Cornelia De Preux sait mêler cet univers fantaisiste avec une perception aiguë de la psychologie des personnes âgées face à leurs pertes, de l'adolescence en crise et des parents paumés avec leur fille tout préoccupés qu'ils sont par leur travail et leurs loisirs. Finalement, elle allie cirque, contes, enquête policière et psychologie. Un tour de force réussi qui m'a emballée.

Recension: Romaine Perraudin-Kalbermatter

Extraits

Pour Tiwi, jusqu'à ses dix ans, la Forêt noire n'était pas noire, elle était menthe et chocolat. C'était un univers fourmillant de lutins verts, farceurs mais gentils, un jeu de quilles où l'on slalomait entre les troncs, fougères en étoiles et pains de coucou. Et vissés sur des souches musclées, tendus vers le ciel, dansaient des Gulliver avec des moustaches sur tout le corps (p.30-31).

Les policiers sont venus en duo. Un baraqué court sur pattes avec un visage brique, serti de favoris et un freluquet au teint asperge avec des bras trop longs (p.62). Pop et Pip – c'étaient leurs noms d'artistes – avaient commencé avec les limaces funambules. Les gastéropodes devaient traverser un caniveau sur des cardes de blettes. Pour les faire avancer, les frères parsemaient les passerelles de fortune de fraises quand c'était la saison, de feuilles de salade sinon. Les deux larrons chipaient leur matériel dans le potager de la voisine. Ils choisissaient des blettes blanches, rouges ou jaunes pour que l'on puisse mieux différencier les concurrents… Pour épater la galerie, ils avaient même essayé d'apprendre le crawl à des chats. Mais cela s'était mal terminé avec Hercule, le matou de la voisine, celle à qui ils volaient les blettes. Hercule avait coulé à pic. Pip s'était alors tourné vers la mécanique et avait laissé Pop à sa ménagerie (p.75).

Depuis le ciel, la forêt ne lui fait plus peur. Elle peut la survoler à loisir, la pénétrer sans s'y perdre. Elle l'étrenne enfin, ce voyage en hélicoptère tant désiré ! Mais où donc se cache le pilote? Où diable commence et finit l'appareil? La cabine n'est elle que verre? Non, elle se trompe. Il n'y a pas d'engin. Elle évolue librement dans l'azur, sans protection. Pas de pales qui déflagrent, juste le bruit du vent qui chatouille la cime des arbres et qui furète dans son chignon (p. 116). Elle si foncée, eux si blancs. Dans les autres familles, les gènes s'étaient servis dans des pots de peinture déclinant les nuances de la même couleur… "Maman, c'est vrai que c'est un grand vautour noir, un condor, qui m'a déposée dans les choux et pas une cigogne?" (P. 131).

Groumma incarne à elle seule tous les meilleurs profs du monde. Elle ouvre un tiroir et la leçon commence. Elle peut parler amanites et octopus, saxifrages et pipistrelles, jardin d'Eden et arche de Noé. Oui, la Bible, ça la connaît, et l'histoire avec un grand H, et tant d'histoires pas vraies, des contes d'ici et d'ailleurs et surtout ceux des frères Grimm, elle sait tout sur le bout des doigts. Le dedans de sa tête est sans fond, élastique (p. 175).

Que Gretel ait des absences avait été un choc pour Alice…. L'obsolescence programmée ne s'attaquait pas qu'au fer à repasser ou à l'appareil à bricelets (p. 178).

L'auteure

Cornélia de Preux est née à Vienne en Autriche. Elle a grandi à la montagne, en Valais, a étudié les lettres à l’Université de Genève, vécu quelques années en Suisse alémanique, à Berne puis à Zurich, pour finalement s’installer sur les hauts de Lausanne. Elle s'est essayée à la nouvelle avant d'écrire des romans. Le chant du biloba est son deuxième roman. Son premier roman l'Aquarium a aussi paru aux Editions Plaisir de Lire.

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