En mal de mère, Sylvie Cohen

Slatkine 2024

Kaïto est un adolescent tiraillé entre deux cultures, celle de son père Jack, un Yankee colérique et parfois un peu trop brutal, et avec qui il vit, et celle de sa mère, une jeune et belle danseuse japonaise. Mais depuis que cette dernière est partie, il rêve de la retrouver afin de s’installer avec elle dans une vraie maison plutôt que d’habiter sur un petit voilier dans cette marina d’Okinawa.

Jack est convoyeur de bateaux, et à chaque voyage en mer, Kaïto est forcé de l’accompagner malgré sa réticence. C’est donc à contrecœur qu’il embarque une nouvelle fois avec son père, sur le Missing Link, destination de routine en Alaska. Mais une grosse tempête les surprend et le jeune homme se retrouve seul au milieu de l’océan. Parviendra-t-il à survivre à ce cauchemar, lui qui a toujours détesté la mer ? Finira-t-il par rejoindre sa mère et vivre enfin une existence épanouie ? Trouvera-t-il finalement le bonheur au centre de ces deux éducations si divergentes ?

Dans son premier roman « En mal de mère », Sylvie Cohen nous emmène dans une aventure de survie, tant physique que psychologique.

Dès les premières pages, l’auteure nous embarque avec Kaïto qui, après la mort de son père, doit lutter pour ne pas mourir. Le jeune héros tente alors de se remémorer des conseils avisés en matière de navigation que lui prodiguait Jack. Dans le même temps, des souvenirs épars tendres ou douloureux lui remontent au cœur, le laissant le plus souvent désemparé.

C’est ainsi qu’une bonne partie des événements sont relatés par Kaïto, sous la forme d’un monologue intérieur, pour dire à son père ses sentiments les plus profonds, peurs, angoisses, espoirs, déceptions, douleurs, jusqu’à la haine aussi à son encontre. Tant de questions sans réponses pour Kaïto, tant d’attentes déçues, tant d’amour manqué ! À se demander, malgré l’incroyable courage du héros, s’il réussira un jour à s’en sortir…

Un récit prenant et bien écrit, des émotions qui remuent les tripes, un dénouement qui laisse songeur !

Recension Marylène Rittiner

Extrait page 63-65

– Qu’est-ce que tu as fait de ton fric ? Par l’oreille, il le traîne jusqu’au chat désargenté. Elles sont passées où, tes économies, tout ce pognon que je t’ai filé ? Tu vas me répondre, oui ou non ?

Entre deux sanglots, Kaïto hoquette.
– Je l’ai dépensé, c’est tout !

Jack relâche un peu sa prise. Il attend la suite de l’explication. Mais le gamin lui file entre les doigts. La peur lui donne des ailes. Avant même que son père puisse esquisser un geste pour le rattraper, il bondit dans le cockpit, saute sur le ponton et enfourche son vélo abandonné par terre, devant le bateau. La voix de Jack lui parvient, lointaine.
– Où vas-tu ? Reviens ! Reviens tout de suite ! Fais pas l’idiot, Kaïto, ils ont lancé une alerte typhon, reviens, je te dis !

Le typhon, je m’en fous, il vient de m’en passer un dessus, et sans alerte ! Alors celui qui arrive, j’espère qu’il va m’emporter loin, si loin que jamais je ne reviendrai. Jamais ! Tu m’entends ? Ou plutôt, non, je reviendrai pour te casser la gueule, pour te tuer… je prendrai mes affaires et j’irai vivre chez ma mère, dans un vrai appartement, avec une télé et tu crèveras seul. […]

À travers ses larmes, il voit les lumières du port scintiller au loin, comme un essaim vacillant de lucioles. Et, en contre-bas, la lueur tamisée d’une gargote d’où s’envolent les trois notes obsédantes d’un sanshin. Trois notes pincées sur son cœur. Son père est un salaud. Sa mère a bien fait de le quitter, puisqu’il paraît que c’est elle qui l’a quitté. Kaïto ressent une furieuse envie de se blottir dans les bras d’une mère, de sa mère. Il se demande si elle sait aussi jouer du sanshin. Pas sûr, paraît qu’elle est danseuse, pas musicienne. Peut-être qu’autrefois elle lui avait chanté des berceuses pour l’endormir. Il l’imagine assise en tutu au bord de sa couchette, en train de fredonner. Il essaie de ressusciter son visage, la dernière fois qu’il l’a vue sur Skype. C’était le jour de ses dix ans.

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