Maîtresse Betty, regard d’une institutrice sur son temps, Anne-Catherine Biner
Maîtresse Betty, regard d'une institutrice sur son temps, de la craie à l'ordinateur
Anne-Catherine Biner, Editions Cabédita, Bière (VD), 2018
De petite fille à adolescente, de jeune femme à institutrice, le parcours scolaire et professionnel de Betty (1959-2016) n’a pas toujours été de tout repos. Entre déceptions et injustices, elle continuera cependant d’aimer l’école, encouragée toutefois par quelques professeurs, certes sévères, mais ayant le sens de l’équité. D’ailleurs, tout au long de sa vie d’enseignante à l’école primaire, elle reprendra les exemples enrichissants de ces prédécesseurs en s’appliquant à pratiquer à son tour, justice et impartialité.
L’histoire de sa vie professionnelle est un vrai délice, truffée d’anecdotes, quelques fois étonnantes ou drôles, quelques autres fois émouvantes ou même révoltantes, mais toujours si bien narrées, avec le cœur, avec l’émotion de l’instant vécu encore présente.
Betty et son aisance à s’immerger dans un récit pour le conter, Betty et ses gestes, ses expressions du visage, ses modulations vocales, son enthousiasme, Betty généreuse, naturelle, spontanée… Elle emporte le lecteur dans ses aventures d’autrefois, le fait voyager au cœur de l’enfance, lui redessine des souvenirs.
À la lecture de cet ouvrage, on ne peut que l’imaginer, évoluant autour de son petit monde, dans toute sa bienveillance et son humanité.
Il faut dire que l’auteure de cette perle littéraire, Anne-Catherine Biner, a su retranscrire à la perfection toutes les sensibilités de l’héroïne. Elle nous fait ainsi découvrir et aimer chaque instant vécu par Betty, de son plus jeune âge à aujourd’hui. Grâce à elle, au fil des pages, nous visualisons les scènes, nous entendons les dialogues, nous percevons les accents, nous sympathisons avec les acteurs de cette époque. Époque qui, d’ailleurs, retrace les chamboulements de l’École valaisanne et romande. Anne-Catherine Biner nous présente une dame au grand cœur, joviale, attachante et chaleureuse, amoureuse de la vie et des gens. Une maîtresse à la « Marie Poppins », le rêve de chaque enfant, d’hier ou d’aujourd’hui.
Recension Marylène Rittiner
Un esprit de clan p. 32-33
Lorsque Betty passa en 4e année primaire, elle changea de maîtresse. Mademoiselle Dupuis* était une jeune femme laïque et peu sensible aux différences de conditions sociales et d’apparence. Ainsi, l’ambiance gagna en sérénité. Cependant, à l’extérieur de sa classe, le vent de la dérision continuait de souffler.
« Un jour, nous avions une réunion avec les normaliennes et devions changer de salle. C’était en temps de Carême, et il était de coutume de prendre de bonnes résolutions. En chemin, nous avons rencontré trois maîtresses, dont Sœur Luce* et Mademoiselle Dupuis*. La sœur a hélé notre groupe et nous nous sommes arrêtées. Elle a regardé Alicia* et lui a dit : “Toi, Alicia*, qu’est-ce que tu as pris comme résolution ? Je pense que tu as pris la résolution de grossir !” Notre camarade vivait avec sa grand-maman qui adorait faire des gâteaux ; elle en mangeait certainement trop. La sœur trouvait sa plaisanterie très drôle et riait de tout son cœur. Moi, j’observais les deux maîtresses. Mademoiselle Dupuis* est restée parfaitement impassible. Alicia* a répondu le plus sérieusement du monde : « Non, non. Moi, je n’ai pas pris ça comme résolution, j’ai choisi de ne pas oublier la prière du matin. » Sur le moment, elle ne s’était pas vraiment rendu compte que la sœur se moquait d’elle. Moi, j’avais le cœur serré. »
Les valeurs pour vivre, au quotidien p 115-116
« Les valeurs pour vivre », j’essayais de les appliquer tous les jours dans ma pratique. Au début de l’année scolaire, je préparais l’arrivée des nouveaux élèves. Dans le but de bien les accueillir, j’allais m’enquérir auprès du maître de l’année précédente d’une qualité particulière à chaque enfant. J’avais créé un poster avec le nom de chaque nouveau venu. Après l’accueil, je leur ai demandé d’y dessiner une de leur main, et d’y ajouter leur prénom. Le lendemain matin, je leur disais :
– Sur le panneau d’affichage, il y avait votre nom, hier
– Oui, oui !
– Et bien aujourd’hui, il y a quelque chose en plus… Et ce cadeau, c’est le maître de l’année passée qui vous l’a offert.
Les élèves se dépêchaient d’aller regarder le poster et je les entendais murmurer :
– C’est vrai, c’est Monsieur Liand* qui a dit ça ?
Cette attention les touchait énormément. Certains enfants se rendaient plusieurs fois près du panneau pour vérifier qu’ils ne s’étaient pas trompés. Quelque temps après, je rajoutais une qualité à côté de chaque prénom.
Tous les matins, je serrais la main de chaque élève d’une façon personnelle. J’en profitais pour regarder chacun d’eux avec attention. Cela me permettait de sentir dans quel état d’esprit ils se trouvaient. Tristes ? Joyeux ? Agités ? Et pouvoir tout de suite libérer la parole en posant une question avec empathie. »
* Noms et prénoms fictifs
L'auteure
Anne-Catherine Biner est titulaire d'un CAS de Recueilleuse de récits de vie de l'Université de Fribourg, ainsi qu'un CAS en Technique de la communication écrite à l'UNIGE. Dossier presse
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