Une toile large comme le monde, Aude Seigne
Une toile large comme le monde
Aude Seigne, roman, Edition Zoé. Genève, 2017
Disons-le d’emblée : l’idée de ce roman est excellente ! Le super-héros s’appelle FLIN, traverse l’Atlantique où il repose au fond des abysses. C’est un des 368 câbles sous-marins de la Toile. Par lui passe un peu ou beaucoup de nos vies : ce qu’on produit, ce qu’on stocke, ce qu’on décide de révéler de soi-même et de communiquer au monde. Les autres personnages de cette histoire, bien vivants, eux, dépendent de ces fils et de ces boîtes qui les relient. June qui vit en « trouple » (ménage à trois) et qui fabrique des savons ; Lu Pan qui joue sur des écrans ne s’éteignant jamais ; Kuan, son père, qui surveille, comme dans un jeu vidéo, les cargos transitant dans le port de Singapour ; Pénélope qui fait du yoga parce que « c’est la seule chose qu’elle fait qui ne passe pas par un écran », Birgit, en burn-out numérique après un week-end entier de congé dont elle ne savait que faire. Ces bobolieusards établis aux quatre coins de la planète vont s’imaginer un avenir « au vert », c’est-à-dire sans FLIN qui les mange et qu’ils projettent de sectionner.
Les premières pages de ce livre sont époustouflantes et pleines de promesses, le gros de l’histoire se perd dans les méandres de la vie fade de personnages manquant d’étoffe et la fin nous laisse sur… notre faim !
Dommage ! « Une toile large comme le monde » est un roman qui reste un peu trop superficiel. On surfe sur des questions devenues indissociablement liées à nos existences : quels liens, réels ou virtuels, tissons-nous avec ceux qui nous entourent ? Quelles seraient nos vies sans le flux continuel de l’internet qui régit tout ? Comment survivrions-nous après une gigantesque panne du web, provoquée par des gens déconnectés de la réalité ? Le livre, bien documenté pourtant, est sans réelle surprise. On survole, comme dans un avion. Sans vertige et d’un peu trop haut. Ce qui n’empêche pas qu’on se laisse porter par le plaisir de la lecture !
Recension: Monique Rebetez
Extraits
Page 7
« Il est allongé au fond de l’océan. Il est immobile, longiligne et tubulaire, gris ou peut-être noir, dans l’obscurité on ne sait pas très bien. Il ressemble à ce qui se trouve dans nos salons, derrière nos plinthes, entre le mur et la lampe, entre la prise de courant et celle de l’ordinateur : un vulgaire câble. Appelons-le FLIN.»
Page 156
« Aujourd’hui, le plan de travail de la cuisine est rangé. Le courrier papier ne traîne pas, il est classé en deux piles : entrant, aussitôt ouvert par Birgit, et sortant, récupéré au quotidien par un de ses nouveaux colocataires. Car elle ne vit plus seule, Birgit, mais partage son appartement avec quatre personnes qui ont investi son salon spacieux, en ont fait un bureau, une centrale, d’où Birgit coordonne les opérations, constitue les équipes et découpe les objectifs. Pénélope a bien insisté : la partie informatique, qui consiste à détruire les données des data centers et à faire s’écrouler les sites les plus importants sous le nombre de requêtes, sera assurée par d’autres. »
Page 227
« Aujourd’hui, cela fait cinq mois qu’internet s’est éteint. Birgit est en mouvement, comme avant, mais elle ne suit aucune trajectoire, elle fuit, dérive, se laisse porter, languissante mais confirmée dans cette certitude qu’on ne l’y reprendra plus, on ne l’attrapera pas, désormais elle fait ce qu’elle veut. Sur un toit du quartier Beyo?lu à Istanbul, elle fume une cigarette devant son café – elle a recommencé, maintenant qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle regarde le Bosphore, ses éternelles brumes suspendues entre deux continents, les petites navettes blanches qui les relient. Elle se répète des évidences, comme un écho d’elle-même. Tout fonctionne au ralenti. Tout fonctionne au ralenti… »
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