Tendi Sherpa, plus haut que l’Everest, Armand Dussex
L’Everest, l’Ama Dablam, l’Aconcagua, le Manaslu, quatre majestueuses montagnes classées parmi les plus hautes de notre planète, quatre destinations pour des occidentaux en mal de sensations fortes… Mais qu’est-ce qui les attire là-haut, dans la neige, la glace et le froid ? Qu’est-ce qui fait qu’un homme sensé se retrouve à plus de 8000 mètres d’altitude à braver le danger pendant des jours, juste pour quelques minutes au sommet ? La recherche d’un moment de bonheur infini ? Un besoin de gloire ? Ou tout simplement…de la folie pure ?
Il y a deux catégories de personnes assez téméraires pour braver ces forces de la nature : celles qui déboursent des milliers de francs en échange d’une aventure extrême, et celles qui vivent de ces allers-retours incessants. Tendi Sherpa, c’est évident, son nom même l’indique, fait partie du second groupe. Depuis le début de son adolescence, il arpente dans tous les sens les chemins de son Népal qui l’a vu naître, quelles que soient la longueur et la hauteur de l’exercice.
Très vite, à l’exemple de son père Kamshu, il rejoint le groupe des sherpas, ces hommes robustes et endurants, ces porteurs à toute épreuve. Très vite, il gravit ces grands sommets, les vainc avec toute la force de sa jeunesse. Très vite, malgré son jeune âge, il devient un guide de haute montagne émérite.
Ses exploits sont impressionnants, certes, mais d’autres les ont aussi faits. Cependant, ce qui touche particulièrement, c'est son parcours atypique où se mêlent une vision élargie de l’avenir et un idéal altruiste. Il ne néglige donc aucun effort, ni sa soif d’apprendre, ni sa persévérance face à l’attitude méprisante de certains clients, ni non plus sa ténacité pour une vie meilleure. Et puis, sa gentillesse, sa jovialité, sa disponibilité, sa rage à vouloir sauver coûte que coûte, là-haut, des hommes au bord de la mort, son humilité devant l’intransigeante nature, sa sagesse de renoncer face au danger… autant de qualités attirantes qui ajoutent à la belle personnalité de Tendi.
Nous ne pouvons qu’être admiratifs devant tant de beautés de l’âme !
Armand Dussex l’a compris bien avant nous et aujourd’hui, il nous raconte avec sobriété et grande sensibilité l’histoire de Tendi Sherpa, de sa famille, de ses vallées, de ses valeurs. En lisant ce récit, le contraste avec les minuscules régions du Valais et leur confort, et la différence de priorités des uns et des autres, me sont arrivés en plein visage, comme une bourrasque inattendue. Puissent ces quelques pages nous ramener au vrai sens de la vie.
Chroniqueuse: Marylène Rittiner
Premières Expéditions l'Everest – Extrait P. 27-28
Tendi se souvient:
Un client du groupe bulgare, Petko Totev, qui voulait tenter le sommet m'a demandé si j'étais en mesure de l'accompagner. J'ai été très heureux d'accepter. Nous avons quitté le camp de base à 5'300 mètres le 12 mai et nous sommes montés au camp intermédiaire à 5'900 mètres où nous avons passé une première nuit. Le lendemain, nous sommes montés au camp de base avancé, à 6'200 mètres, où nous sommes restés deux jours pour que mon client puisse s'acclimater. Moi, je n'en avais guère besoin, puisque j'avais passé plusieurs jours en altitude, jusqu'à 8'300 mètres.
Le 16 mai, nous sommes montés au col nord à 7'200 mètres et le 17 mai, au camp 3 à 7'900 mètres. Le lendemain nous avons atteint le camp 4 à 8'300 mètres en début d'après-midi. J'ai posé la tente d'altitude pour nous deux et nous nous sommes reposés jusqu'à 22 heures. Il faisait beau et nous sommes partis pour l'ascension finale. Je n'avais jamais parcouru ce tronçon. Nous étions seuls et je devais donc chercher la voie. La nuit était claire et sans vent. Je me sentais bien, mais mon client donnait des signes de fatigue. Je lui ai donné de l'eau chaude et du jus de fruits. J'ai pensé à mon père qui m'avait expliqué qu'en haute altitude, il fallait s'occuper des clients, comme s'il s'agissait d'enfants. Quand ils sont très fatigués, ils oublient souvent de boire et de manger, et nous devons penser pour eux et être très attentifs à leurs besoins. Cette boisson lui a donné le courage de continuer. Pour moi, c'était quand même éprouvant car je devais porter 5 bouteilles d'oxygène en plus de mes affaires personnelles. De plus, j'étais partagé entre le bonheur d'être là et la peur de ce qui pourrait nous arriver à cette altitude. Nous étions absolument seuls, et nous ne pouvions donc compter que sur nous-mêmes. On m'avait dit qu'il y avait des morts sur le chemin et à un moment, j'en ai vu un dans la lueur de ma frontale. Ça m'a fait peur, même si je le savais. Alors, je me suis dit en moi-même "Qu'est-ce que c'est que la vie ?". J'ai aussi pensé à mon père et à ma mère qui m'avaient demandé de ne pas aller au-delà de 8'300 mètres. Je leur ai désobéi, mais je suis sherpa et je dois assumer mon métier de sherpa. Mon père faisait ce métier, et moi, je ne vois pas d'autres alternatives. Si je refuse d'aller en haute altitude, je ne pourrais jamais devenir important dans cette profession et bien gagner ma vie. Je me dis que j'ai la capacité de réussir et d'être connu comme d'autres sherpas qui sont devenus célèbres.
Au lever du jour, nous arrivons au "Second Step", le passage le plus difficile de l'ascension. Mon client éprouve quelques problèmes, mais, avec mon aide, il franchit finalement le passage. Quand nous arrivons sur l'arête sommitale, le soleil nous éclaire subitement, comme pour nous dire bonjour. Nous marchons longtemps sur l'arête vertigineuse où il faut toujours faire très attention. Un faux pas serait fatal. Même la très belle vue ne doit pas faire relâcher notre attention.
Nous avons franchi encore un petit passage rocheux, puis une petite crête de neige avant de voir enfin le sommet. Nous y arrivons vers midi, après 11 heures d'ascension. Je suis incroyablement content de me trouver pour la première fois sur la plus haute montagne de la terre et je peux dire qu'à ce moment précis, il n'y a personne plus haut que nous.
L'auteur: est né en Valais, à Ayent, en 1940. Pendant quinze années gardien de la cabane des Audannes et responsable de la sécurité hivernale à Anzère, il est aussi passionné par les richesses naturelles et le patrimoine. Il a écrit plusierus guides dont « Découvrir Anzère et la contrée d’Ayent », « Les cabanes romandes et leurs gardiens ». Il a participé à la rédaction d’un livre collectif « les bisses du Valais » et le dernier Tendi Sherpa, plus haut que l’Everest », fruit d'une amitié avec cette famille.
Tendi Sherpa, plus haut que l’Everest, publié en février 2016
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