Septembre éternel, Julien Sansonnens
Éditions de l’Aire, 2021, 373 p
Sylvain Tesson a remonté la France en usant à pied les voies cachées (Sur les Chemins noirs, Gallimard, 2016) pour célébrer un retour à la vie après un grave accident. Marc Calmet, le héros-narrateur de Septembre éternel, remonte la Loire depuis l’Isère, jusqu’à Paris pour y signer la vente de sa librairie : chez l’un, il y a l’euphorie d’une réappropriation du corps et d’un retour à la vie ; chez l’autre, c’est le désenchantement et un constat amer : « de la vie je n’ai rien appris ou si peu ».
Le dernier roman de Julien Sansonnens commence par la description de manifestations populaires liées au suicide d’un vieil homme. Derrière ces « enchaînés » et les embrasements d’une France de la périphérie délaissée par un « jeune président » ni de gauche ni de droite, on n’a guère de peine à reconnaitre les « Gilets jaunes » et une France qui se délite. En parallèle à ce tableau plutôt noir, Marc Calmet, né au début des années soixante, remonte le cours de sa vie : ses virées à Paris avec son ami Karim pour assister aux concerts de Michel Sardou, ses métiers de facteur, de journaliste et de libraire, son mariage puis son divorce, mais sont aussi évoqués le désarroi des agriculteurs, la fin des boucheries de campagne et les désillusions en politique après l’avènement de la gauche au pouvoir. Le déclin d’un pays croise ainsi celui d’une vie sans avenir, où il n’y a place ni pour l’amitié ni pour l’amour. La fin de la librairie signifie aussi que le héros ne croit guère au pouvoir régénérateur de la littérature.
Si l’auteur paraît moins à l’aise dans le déroulement de l’intrigue romanesque – la fin ne nous a pas convaincu –, il excelle par contre dans le regard sociologique. Il trouble le lecteur qui ne sait pas si les analyses résultent de la vision du personnage ou des commentaires de Julien Sansonnens sur son époque. Marc Calmet apprécie les livres de Houellebecq. Il y a fort à parier qu’il a aussi lu Les Choses de George Perec et qu’il a partagé ce regard désenchanté sur les années soixante. Mais déjà Chateaubriand l’écrivait : « On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout. »
Extraits
« Depuis une vingtaine d’années, les rapports sociaux entre hommes et femmes s’étaient tendus. Un féminisme d’un type nouveau était apparu en réaction à un patriarcat désormais largement fantasmé, critique de la domination cachant mal une haine des hommes et qui s’exprimait à travers des concepts nouveaux, des mots abscons et toujours en anglais, issus de quelques laboratoires de sociologie californiens, on parlait de machisme, de privilège masculin, de culture du viol, de "manspreading, de mansplaining". Récemment le concept de féminicide avait été injecté dans le débat social par le lobbying de mouvements bien organisés… » (p. 32)
« Comme la moitié des couples mariés, Marta et moi nous sommes séparés : le divorce a été prononcé en 1999. Le monde que nous avions créé, une famille déjà presque à l’ancienne, un père et une mère de sexe opposé et deux enfants, ce lieu dysfonctionnel de l’aliénation patriarcale pour les féministes, bastion d’une morale bourgeoise archaïste pour les marxistes, avait éclaté : à ma souffrance s’ajoutait l’humiliation d’être un imbécile parmi d’autres, d’ajouter un peu de médiocrité à l’époque. » (p. 297)
« Le monde dans lequel je suis né n’existe plus : est-ce cela qu’on appelle vieillir ? Je demeure comme retenu dans un mois de septembre éternel, dans ce peu que constitue désormais le présent, matériellement confortable et sans beaucoup d’intérêt. Ce que j’ai été m’apparaît chaque année plus abstrait, une ancienne histoire dont beaucoup s’est déjà perdu. Je suis parfois saisi de stupeur en imaginant les heures vécues, les innombrables rencontres, les amitiés nouées et défaites, ce qu’aura été la somme des souvenirs amassés et le poids de ces actions sur lesquelles il faudra bien rendre des comptes. Et cette certitude que tout cela n’a servi à rien : de la vie je n’ai rien appris ou si peu.
Le monde n’a pas eu besoin de moi. » (p.332)
Recension par Pierre-François Mettan
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