Puccini l’aimait, Brigitte Hool
Puccini L'aimait
Brigitte Hool, roman, Éditions l'Âge d'Homme, Lausanne, 2016
Giacomo Puccini, compositeur italien, doit supporter la jalousie maladive d’Elvira, sa maîtresse devenue par la suite son épouse. Il se console chastement au travers de Doria, jeune fille nouvellement engagée comme aide de ménage et gouvernante. Cette dernière aime et comprend sa musique. Elle s’attache à l’homme et se voue corps et âme à son service, prête à tout pour cacher une liaison adultère de l’artiste et ne pas le trahir. Il y a deux camps dans ce roman, celui du loyal et celui du fourbe. Jusqu’où les protagonistes iront-ils pour protéger l’être aimé ou pour le récupérer, pour détruire leurs rivales ou pour sauver les apparences ?
L’auteure, Brigitte Hool, nous entraîne dans une intrigue où se succèdent de beaux sentiments tels l’amitié, la loyauté, la sensibilité, et de dévorantes passions comme l’amour, la colère, la jalousie, la trahison. Elle nous plonge dans un univers où l’on peut passer de la joie à la tristesse, dans une ambiance tantôt légère, tantôt dramatique. A n’en pas douter, l’histoire ressemble à un opéra. Quelques morceaux de « la Bohême » ou de « Mme Butterfly » en musique de fond et nous y sommes totalement immergés.
Un récit riche en détails musicaux, une écriture truffée de vocables soutenus, et pour peaufiner le tout, une trame captivante aux personnages hauts en couleurs. Voilà une belle et originale façon de tenir le lecteur en haleine.
Recension: Marylène Rittiner
Extrait : La Composition de nuit pages 173-174
Après avoir repoussé l’assiette préparée sur la table, peut-être pour montrer ostensiblement qu’il n’en voulait pas, Giacomo passa directement à son piano. Il alluma les quatre chandelles et s’assit sur la chaise pivotante. Avant de plaquer un accord, il attendit dans la musique de la nuit. Il avait cru que tout était quiet, mais il eut l’impression de distinguer le vent sur le lac, des chauves-souris qui passaient devant les vitres en culs-de-bouteille, un insecte qui volait contre une porte… Ses yeux étaient clos. A force d’écouter l’apparence du silence, il tomba dans le silence, le vrai. Les sens fermés au monde, il entendait le concert de l’infini. Ce n’était pas une ode à la joie : c’était la joie. Il eut un long soupir de soulagement. La musique était là, au creux de son attente. Il leva les mains sur son piano et planta un accord fait d’étoiles et de lune, et même du soleil qu’il avait vu au-delà de la nuit.
Aux premières notes, Elvira1 se réveilla en sursaut. Il le faisait exprès, c’était certain. Tout cela était fait pour la détruire petit à petit. Il voulait se débarrasser d’elle, l’abandonner. Elle qui avait perdu tout son honneur, elle allait perdre aussi sa situation. Non, elle ne se laisserait pas faire. Il partait jusqu’à pas d’heure, il revenait pour faire du boucan, il canardait son piano. Non, vraiment, il exagérait. Comment supporter tout ça ? Elle allait devenir une sainte, à supporter un mari pareil ! Ah, le misérable !
Doria2 s’était réveillée en même temps. Elle avait remonté son oreiller pour s’asseoir contre la tête de lit et écouter avec dévotion. Elle reconnut le kaléidoscope de ses nuits, des étoiles filantes et même le jeu de la lune entre les nuages quand ils paraissent bleus et qu’elle est mousse de lait. Soudain, elle entendit Elvira qui vociférait : « Mais, finis-là ! Tu le fais exprès ? Tu joues comme un âne, cela n’a aucun sens. Arrête le concert, maestro. » Elvira claqua la porte de sa chambre, le silence retomba du plafond où les cris l’avait projeté. Et, palpable, la tristesse de Giacomo, faite d’incompréhension et de solitude, de fatigue et de résignation, laissa la place à une des plus belles romances qu’il ait composées. Il n’était que désir et espace, il ne s’interrompit pas pour en prendre note, sacrifiant sa mémoire au temps sublime, unique et infini.
En entendant cette plainte mélodieuse, Doria pleura jusqu’à oublier ses propres malheurs.
Quand la rosée apparut sur les fleurs, Elvira dormait enfin.
En boule dans son lit, Doria écoutait la sérénade devenir une aubade, tandis que Puccini finissait un hymne qu’il ne croyait jouer que pour les anges. Il avait aussi peut-être raison.
La rosée du jardin affleura sur sa musique et l’écho résonna longtemps quand il alla enfin dormir.
1 Elvira est l’épouse de Giacomo Puccini
2 Doria est la domestique de la maison
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