Mon cher Léon, Sandra Modiano
Editions Slatkine, Genève 2023
Histoire et récit de vie
De Salonique à Lausanne
L'itinéraire du Dr Cuenca, médecin juif au camp d'Auschwiz
Emouvante et passionnante saga familiale que Sandra Modiano nous fait revivre intensément. Devoir de mémoire, recherche intensive sur des années en faisant revivre ce héros familial.
Nostalgie évidente de n’avoir pas connu ce grand-oncle. Homme d’une humanité rare et d’une aura incontestable qui a su se distinguer par son charisme reconnu par de nombreux témoignages.
Prisonnier des nazis au camp d’Auschwitz, dans le comble de l’horreur et de l’abjection de l’extermination, il a diffusé et propagé autour de lui sa compassion et, profitant de son expérience médicale incomparable, il a soulagé les survivants dits « en bonne santé » en leur apportant réconfort, en les soignants afin de leur éviter avec les faibles moyens à disposition – la chambre à gaz à laquelle la plupart était destiné.
En 1943, année charnière de l’occupation allemande, la communauté juive est très bien intégrée depuis plusieurs générations à Thessalonique, ville grecque multiethnique. La famille Modiano en est le parfait exemple. D’origine italienne de Livourne mais installée depuis longtemps à Salonique, elle pratiquait comme langue d’usage le judéo-espagnol. Cette communauté juive bien implantée a contribué à l’essor de cette ville dénommée « la Jérusalem des Balkans ».
Au seuil de la guerre, il est prouvé que 56'000 juifs résidaient dans cette ville. Seuls, 1'950 ont survécu. L’antisémitisme naissant après la libération de l’occupation ottomane et le grand incendie de 1917 sont les ingrédients préalables qui ont abouti à la Shoah en finalité. Voici comment, dans la déferlante d’une telle haine meurtrière, les nazis ont réussi en partie à éradiquer tout un peuple, sa culture, sa sagesse, avec la complicité des autorités de Salonique de l’époque : en confisquant les biens, en expropriant les occupants, en rasant pierre à pierre le plus grand et ancien cimetière juif d’Europe. De cette horreur incommensurable a, malgré tout, émergé des actes de bravoure cachant ou exfiltrant certaines familles survivantes. Courage dû au peuple grec qui a résisté à l’occupant allemand et à sa Gestapo.
La narratrice, par sa recherche historique incontestable, inspirée par des documents familiaux accumulés patiemment – ainsi que par des témoignages de l’époque de personnes vivantes ou survivantes ayant côtoyé ou bénéficié des soins du principal protagoniste – nous rend son écrit palpitant. Par cette petite fenêtre entrouverte, nous assistons à ce travail de mémoire bouleversant empreint d’une belle humanité. Plaie ouverte, un calvaire générationnel indélébile.
Deuxième partie : l’Affaire Cuenca modeste héros que Sandra Modiano a su avec tact et sensibilité faire renaître. Une période sordide de la vie de son grand-oncle.
Comment le docteur Cuenca – médecin du consulat suisse, proche du consulat italien, personnalité bienveillante, adulée, respectée, influente dans sa ville – a pu déranger l’occupant nazi à tel point que la Gestapo a cagoulé enlevé et séparé le couple. Il s’est retrouvé assigné au camp de la mort d’Auschwitz, désigné comme prisonnier politique juif grec.
Une lecture bouleversante par ce témoignage édifiant qui devrait contribuer à ouvrir les esprits et stimuler le courage de se dresser contre la tyrannie, la sauvagerie. Cette plume de talent, nous fait revivre comme un fait historique d’une preuve accablante et nous invite à s’opposer aux nostalgiques, complotistes, aux idées nauséabondes diffusées sur les réseaux sociaux ; un public de plus en plus réceptif d’une inculture généralisée. Huit décennies passées. Du plus jamais ça et pourtant la barbarie et les atrocités sont de nouveau d’actualité.
Recension Yves D'Andiran
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