Mémoire vive, Sophie Parlatano
Récit, 5 Sens Editions 2024
En 1921, les grands-parents de Sofia, Oreste et Realina, quittent Lecce au sud de l’Italie, avec leur premier bébé, pour se rendre à Milan. Ils espèrent ainsi mener une vie meilleure, sans s’imaginer que d’autres difficultés les attendront peut-être. Entre temps, la guerre éclate, apportant son lot de peurs, de privations et de souffrances. Puis, en 1950 Oreste et Realina meurent laissant derrière eux leurs onze enfants, dont cinq encore mineurs.
Sofia n’a donc pas connu ses grands-parents et ne sait quasiment rien de leur vie. De plus, personne ne veut lui parler de ce passé trop triste. Pourtant, la jeune femme se sent liée à la mémoire de ces êtres disparus. Et lorsqu’elle tombe malade, le besoin d’en apprendre davantage devient impérieux ! Elle pourrait alors se libérer des douleurs et traumatismes affectifs qui, selon ce que l’on comprend aujourd’hui (p.48) peuvent parfois, se transmettre sur plusieurs générations.
Mais, ces « gens de l’ombre » ont-ils vraiment vécu des tragédies ? Par le biais d’une lettre, d’une photographie et de quelques révélations glanées au fil de ses recherches, Sofia découvrira finalement un pan de leur histoire. Cela suffira-t-il à la libérer de ses entraves ?
Dans Mémoire vive , Sophie Parlatano nous raconte la vie extrêmement rude de ses grands-parents et de leur famille durant cette période sombre de guerre et d’après-guerre.
Elle décrit les événements dramatiques de cette époque, les grossesses à répétition de Realina, la fermeté d’Oreste dans l’éducation des enfants, et tant d’autres situations douloureuses, simplement, sans tomber dans le pathos, les mots seuls du récit suffisant à déclencher l’émotion.
Une façon pour l’auteure d’honorer la mémoire de ce couple soudé malgré tout par l’amour, de louer leur courage, mais aussi d’avancer sur son propre chemin de vie grâce à la résilience. Une façon également de transmettre son expérience à toutes celles et ceux qui ressentent les affects douloureux d’un passé qui ne leur appartient pas.
Un livre interpellant sur la mémoire de la peau, et sur les bienfaits de déposer les douleurs par l’écriture.
Recension Marylène Rittiner
Extrait, p. 60 – La photographie
Devant le pan foncé d’un rideau de toile épaisse, Oreste et les onze enfants prennent la pause. Debout sur deux rangées, ils entourent Realina, placée au centre. Les fillettes portent une robe courte et un ruban dans les cheveux, les garçonnets des pantalons courts à bretelles, les plus grands sont en chemise et en pantalons longs. À en juger par la photographie, le père de Sofia doit avoir onze ou douze ans. Il est le seul de la fratrie à poser assis, installé sur une chaise paillée à droite de sa mère. Souriante, celle-ci hisse la cadette sur ses genoux. Au dernier plan de la photographie, on voit Oreste se pencher et serrer à deux mains le dossier de la chaise de son épouse. Au bout des manches de sa veste apparaissent ses poignets fins. Son visage est sombre, et ses lèvres tombantes.
Le regard de Sofia parcourt l’ensemble de l’image, puis est happé par l’un des garçonnets. Elle ne le reconnaît pas, mais son sourire, ses joues rebondies, son léger déhanchement et l’inclinaison de sa tête contribuent à le lui rendre extrêmement doux. Si elle pouvait adopter un seul des enfants saisis sur cette image, c’est lui qu’elle choisirait. Mais pourquoi diable cette pensée lui vient-elle ? Elle questionne donc son père. Qui est cet enfant ?
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