Maurice Zermatten, Trajectoires correspondantes, Suzanne Bochatay-Crettex

Editions Slatkine, Genève 2019

Né en 1910 dans le Val d’Hérens (VS), Maurice Zermatten a été imprégné depuis son enfance dans le catholicisme qui était, alors, la religion d’État. Il fit des études à l’université de Fribourg et se fixa dans son canton natal où il enseigna au collège.

L’univers de ses premiers romans reflète une culture empreinte de spiritualité. Il entretient une correspondance nourrie avec un réseau d’écrivains dont il est idéologiquement proche comme Maurice Chappaz, Paul Claudel, Jacques Maritain, Alexandre Cingria…

Les événements qui bouleversèrent l’Église catholique dans les années 60 (Vatican II, Ecône…), augurent des changements sociétaux majeurs dont l’écrivain se fait l’écho. Nous en trouvons les premières traces dans l’un de ses ouvrages parus après Vatican II « Une Soutane aux orties » 1971.

À côté des questions religieuses, ce penseur éthique se préoccupe de la préservation de la nature et du patrimoine foncier et immatériel (contes, usages et coutumes) de son canton. Il se soucie également des traditions qui ancrent les hommes dans une histoire faisant lien entre passé et présent. Les préoccupations de l’auteur s’inscrivent dans le contexte de la modernisation technologique du Valais et d’une société qui s'oriente vers le consumérisme. Tout est bon à vendre dans cet élan vers un « progrès » galopant et non maîtrisé. Il évoque cet aspect de marchandisation du patrimoine dans son oeuvre « Le Cancer des solitudes ».

Maurice Zermatten a également participé à « La naissance d’un Valais littéraire ». Il a fondé l’Association  valaisanne des écrivains en 1957. Il s’est aussi intéressé à d’autres formes d’arts tels que la musique, le dessin, la peinture… Il a entretenu une amitié avec des peintres qui partageaient sa vision du rôle de l’art comme Paul Monnier, Albert Chavaz, Fernand Dubuis, Théodore Strawinski… A savoir: dépasser le caractère uniquement esthétique de l’œuvre et entraîner l’être dans des sphères supérieures.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cet ouvrage. La variété de la matière et l’abondance de la documentation (illustrations, notes, extraits de correspondances, bibliographie) n’ont pas pu être entièrement couvertes dans ce compte-rendu. Les questions que Zermatten s’est posé sur l’Eglise et la religion, sur les conséquences de l’industrialisation et sur la protection de la nature, ainsi que les pistes de réflexion qu’il propose, mériteraient un plus grand développement.

Suzanne Bochatay-Crettex nous offre un ouvrage enrichi de nombreuses citations dans une langue foisonnante et accessible. La couverture représentant « Zermatten dans son monde », les choix graphiques judicieux et l’esthétique de ce livre participent également à la qualité de cette composition. De plus, les vignettes de QR-Code nous permettent d’en découvrir davantage sur l’auteur, sa vie et son oeuvre.

Aujourd’hui, nous pouvons consulter les archives de l’auteur valaisan à la fondation Bodmer à Cologny. Maurice Zermatten et Martin Bodmer s’étaient liés d’amitié en 1953 et avaient correspondu longtemps, ce qui explique cette « expatriation ».

Recension Anne-Catherine Biner

Extrait no 1 – Le Cœur inutile, roman, Fribourg 1936 – p. 41

L’univers de ses premiers romans reflète cette culture empreinte de spiritualité.

… Il fait beau, c’est l’été. De son balcon, la jeune Madeleine assiste au défilé traditionnel [Fête-Dieu], où les rôles et les places attribués reflètent la hiérarchie villageoise. Prêtre portant le Saint-Sacrement dans un ostensoir d’or, magistrats, fifres et tambours, soldats, hommes, femmes et enfants ; tous sont bien alignés. Les costumes traditionnels, assemblés et apprêtés de pareille manière de génération en génération, brillent dans l’air ensoleillé du matin…

Extrait no 2 – Une Soutane aux orties (1971) – p. 74

Si Une Soutane aux orties, mettant en scène la remise en question d’un prêtre qui choisit de défroquer et d’épouser une femme divorcée, pouvait apparaître comme une critique de la morale catholique, c’est plutôt la difficulté de l’Église post-Vatican II à assurer son rôle de garante des valeurs traditionnelles qui est mise en exergue. D’ailleurs, les premiers vacillements de Gérard, le prêtre, surviennent après le concile :

Cette paroisse qu’on lui confiait, après quatre ans de vicariat aux Ouches, il la voulait noble, généreuse, parfaite… Chacun s’y serait aimé dans l’amour commun du Christ, âme d’une Église dont il devait purifier le corps. Lutte épuisante ; […]. Puis, ce Concile, cette immense espérance… Et ces craquements sous ses pieds…

[…]

Le premier ébranlement lui était venu des disputes de ces milliers d’évêques réunis en Concile, forêt de mitres que le Saint-Esprit abandonnait au souffle de l’esprit nouveau. Ces palabres lui semblaient dérisoires. Ce n’est pas de théologie dont il avait besoin, ni d’arguments théologiques rassurant son intelligence. C’est toute sa chair qui se rebellait.

Extrait no 3 –  Journal intime de Maurice Zermatten évoquant le Concile Vatican II p. 75

Le journal intime de Maurice Zermatten nous éclaire sans équivoque sur le fait que, pour lui, le concile a précipité les problèmes :

Une réalité douloureuse depuis la fin du Concile Vatican II : innombrables sont les prêtres qui jettent leur soutane aux orties.
[…] Parmi les épiphénomènes des réformes conciliaires, il faut mentionner la désertion d’un grand nombre de prêtres qui avouaient ne plus pouvoir supporter leur célibat. Le journal parisien Le Monde donnait l’autre jour un chiffre terrifiant : 29'000.

Extrait no 4 –  Protection de l’environnement – envahissement touristique – p. 91

… Maurice Zermatten n’a eu de cesse d’écrire sur les questions de protection de l’environnement. Dans « Un problème actuel. Des réserves de silence, svp ! », il regrette la facilité d’accès à la montagne. Plus encore, pour celui qui recherche le calme et la solitude, la quête d’un tel lieu demeure une tâche ardue.

Il y a cinquante, il y a cent téléphériques, de la plaine à la montagne, des villages aux plateaux hier silencieux. Il y a des machines, partout, des poulies, partout, des moteurs, partout, des pylônes, partout, des toussements de mécanique, partout, des odeurs de benzine. Partout, et partout, ces foules pressées, aveugles, bavardes, bariolées, jetant leurs boîtes de sardines, et pique-niquant, et se dénudant, et promenant leurs lunettes fumées dans les caravansérails des stations. Car tout village devient une station ; tout chalet, hôtel ; tout auberge, palace. Où faut-il aller, bon dieu ! pour être seul ? Jusqu’où faudra-t-il grimper pour entendre encore le silence ?

Extrait no 5 – Préoccupations du patrimoine oral – p. 96

Face à l’arrivée de la technique et de la modernisation des vallées, ce patrimoine oral est menacé d’une disparition certaine, qu’il est de première urgence de sauvegarder. Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, des écrivains et historiens comme Louis Courthion ou Basile Luyet — fondateur des Cahiers valaisans du folklore — initient une vaste entreprise de recueil et de compilation de légendes orales. Ils s’inscrivent dans une veine ethnologique de sauvegarde du folklore : patrimoine matériel et intellectuel dont on prend conscience de l’éminente fragilité.

Maurice Zermatten, en écrivain « amoureux » de son canton, s’inscrit dans cette mouvance et prend le travail à bras-le-corps, commençant par son val d’Hérens natal. Toutefois, il considère que l’auteur peut — et doit — faire montre d’invention, pour respecter l’esprit des légendes…

Extrait 6 –  Vision de l’art – Paul Monnier-Maurice Zermatten –  p. 107-108

A travers leur correspondance, apparaît une entente intellectuelle, une connivence artistique étroite. Maurice Zermatten rédige à plusieurs reprises des articles, comptes-rendus ou monographies pour son ami. Le livre de 1938, Paul Monnier, peintre, est le premier essai publié au sujet d’un artiste. Les lettres gardent la trace de leurs échanges ainsi que de leur étroite collaboration. Elles laissent aussi deviner l’enthousiasme du jeune peintre devant la «promotion» de son œuvre ainsi diffusée et commentée.

Sur le plan intellectuel, les deux hommes partagent de profondes convictions. Tous deux catholiques convaincus, ils tentent de pratiquer un art à la mesure de leur foi. Pour eux, l’art se doit de refléter l’âme du réel, son « irradiation » par le sacré. Les couleurs, les sons, les tons, les formes ne sont que les facettes d’une même réalité, à mettre en lumière selon les capacités et techniques propres au domaine choisi. La complémentarité des arts étant de mise pour atteindre la complétude du réel, l’écrivain a besoin du peintre, comme le peintre de l’écrivain.

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