Longues nuits et petits jours, Anne-Frédérique Rochat
Roman, Slatkine 2021
Se ressourcer dans un chalet de montagne, isolé et loin de tout, alors que l’on « préfère la mer pour le bruit des vagues », cela peut sembler étonnant… Pourtant Edwige a accepté la proposition de son amie Anne, à passer l’été dans la solitude apaisante de ce « véritable paradis », afin de se remettre de sa rupture amoureuse. Mais dès le lendemain, un inconnu, Célien, débarque à son tour et s’installe tout naturellement aux côtés d’Edwige. Qui est-il ? Que fait-il ici ? Pourquoi Anne ne l’a-t-elle pas prévenue de cette arrivée inopinée ?
Une femme et un homme forcés de s’accepter l’un l’autre. Cependant, la vie à deux dans ce nouvel endroit est-elle raisonnablement possible ? De l’envie d’être seule au désir de revoir Célien, Edwige ne sait plus que penser. De plus, d’étranges phénomènes se glissent au fil des heures, perturbant davantage notre héroïne. N’est-elle pas en train de virer folie ?
L’auteure, Anne-Frédérique Rochat, nous entraîne bien malgré nous dans une histoire insolite à l’ambiance mystérieuse. En effet, tout au long du récit, nous découvrons le monde intérieur d’une femme dont le cerveau à demi-lucide peine à faire la différence entre les jours et les nuits, entre le rêve et la réalité. Et plus nous avançons dans le texte, plus notre curiosité nous pousse en avant. Autant dire que l’auteure sait nous balader entre l’un et l’autre. Quant au dénouement, il est tout aussi énigmatique. Une façon de laisser la place à notre imaginaire ou… à notre propre vécu.
Une écriture parfois sensible et touchante, parfois plus rude, mais toujours avec une certaine élégance. Un style agréable et facile à lire même si quelques scènes semblent improbables. Mais l’être humain ne se laisse-t-il pas de temps à autre emporter au-delà du réel ?
Recension Marylène Rittiner
Extrait page 31
Lorsqu’elle rentra dans le chalet, elle trouva l’homme attablé dans la cuisine. Il s’était coupé une tranche de pain et un morceau de fromage qu’il mangeait avec appétit.
– Je me suis permis de croquer quelque chose, j’ai une faim de loup, dit-il la bouche pleine.
Mais permettez-vous, songea Edwige avec ironie, tandis qu’il engloutissait sans aucune gêne la nourriture qu’elle avait achetée le matin même. Il était exclu qu’elle passe ses vacances dans la même baraque que ce type. Ses manières, et ce petit air qu’il se donnait, lui sortaient par les yeux.
– Excusez-moi, mais il y a quelque chose que je ne comprends pas : Anne m’a dit qu’elle me prêtait ce chalet il y a un mois, et il n’a jamais été question de le partager avec qui que ce soit. Si jamais su… jamais je ne serais venue ici… J’ai besoin de calme, de solitude et d’espace.
– Rassurez-vous, je ne vous dérangerai pas, c’est à peine si vous vous rendrez compte de ma présence.
Edwige étouffa un rire moqueur, elle peinait à croire que la discrétion faisait partie des qualités du bonhomme.
– Quand est-ce qu’Anne vous a proposé de venir ici ?
– Peu avant son départ pour les Etats-Unis.
– Je trouve ça bizarre…
– Vous doutez de moi ?
Elle haussa les épaules. Cette discussion la fatiguait, elle désirait se retrouver seule, chez elle, pour pouvoir penser sans entraves, mais à cette heure tardive il n’y avait plus de car postal, elle allait devoir attendre le lendemain matin, passer la nuit avec ce type, l’entendre ronfler peut-être. Cette idée la révulsa. Le ronflement d’une personne aimée pouvait être toléré, dans certains cas, mais celui d’un inconnu avait quelque chose de profondément insupportable.
– Et si l’on ouvrait une bouteille de vin, histoire de se détendre ? proposa-t-il gaiement.
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