Liberté conditionnelle, Hélène Dormond
Liberté conditionnelle
Hélène Dormond, Plaisir de Lire, 2016
Magali vit seule. Elle est dévouée à toutes les causes et détresses. Matthias est marié et père de famille. Il est tant épris de liberté qu’il dépasse égoïstement toutes les limites. Ses excès vont l’amener à croiser Magali. Deux héros attachants malgré leurs différences. Leur vie, leurs amis, leur façon de penser, tout les oppose. A la lecture de ces quelques lignes, certains penseront déjà, ou même, attendront avec impatience la trame classique des contraires qui s’attirent. Pourtant ici, le récit devient bien plus intéressant, bien plus profond, bien plus poignant que n’importe quel conte de princesse et de vilain canard.
Après les quatre premières pages du prologue nous sommes déjà complètement immergés dans la lecture du récit. L’histoire est réglée comme du papier à musique, tout glisse, tout concorde, tout s’enchaîne adroitement. Hélène Dormond nous emmène dans une narration qui colle admirablement à notre époque. La vie des protagonistes ressemble à la nôtre, avec ses plaisirs, ses insouciances, ses peines, ses coups durs, ses espoirs. Le récit est porté par des mots choisis, des tournures sympathiques et originales, des dialogues plaisants, sans oublier quelques brins d’humour et de dérision, bref, une écriture brillante. D’un fait divers tout à fait banal, l’auteure en tire une histoire bien pensée, avec des rebondissements inattendus qui nous tiennent en haleine, un dénouement intelligent. Et pour ne rien gâcher, toute cette aventure nous pousse à la réflexion et nous laisse même pensifs, à certains moments.
Recension: Marylène Rittiner
Extrait chapitres 2, p.83 à 85
Un bref coup à la porte et elle surgit dans la chambre au pas de charge. Cheveux châtains, pullover taupe, velours côtelé marron et ballerines assorties. Une fille couleur terre, songe Matthias. Le sourcil froncé, il la voit piquer droit sur son lit. Grande, une silhouette de sportive, dans la trentaine, à vue de nez. Pas de blouse, un badge gris épinglé à même ses habits, indices qu’elle ne fait partie du personnel soignant. Certainement une aumônière, venue le briefer avant son rendez-vous avec Saint-Pierre. Son absence de maquillage, ses sourcils trop épais, vierges des bienfaits de la pince à épiler, le confortent dans cette idée. Elle tend à Matthias une main aux ongles coupés courts.
– Bonjour, vous êtes Monsieur Bosset ? Je m’appelle Magali Calame et je suis assistante sociale. L’infirmière m’a demandé de venir vous voir pour votre euh… problème avec la justice.
Pas loin. Il sourit de sa propre perspicacité. Il a donc affaire à la version laïque de l’aumônière, plus soucieuse de la pureté de son casier judiciaire que de celle de son âme.
– Ah oui… Je me suis fait flasher à 213 km/h, sur l’A1, lors d’un contrôle volant, comme si ça suffisait pas de truffer le tronçon de radars fixes… J’aurais pas cru que mon Touran tirerait aussi bien, notez.
Son interlocutrice, le visage indéchiffrable, ne semble pas mesurer la performance. Inutile d’insister, encore une de ces femmes hermétiques aux bonheurs mécaniques. Il poursuit sans se démonter.
– Franchement, on vit dans un monde de dingues ! Vous vous rendez-compte que je risque entre un et quatre ans de taule ? Pour un simple excès de vitesse ! Un tordu qui abuse d’un gamin s’en tire avec moins que ça. Ce qui craint, c’est que les autorités tiennent même pas compte des circonstances. A vingt-trois heures, l’autoroute est déserte, je mettais personne en danger. J’aurais jamais fait ça sur des heures d’affluence, je suis pas inconscient. Mais si on peut même pas s’offrir une petite poussée d’adrénaline de temps en temps, autant se flinguer tout de suite… Enfin bref, c’est pas un excès de vitesse qui fait de moi un délinquant, quand même !
Elle fait la moue, avant de trancher doctement :
– Sur le plan légal, ça relève pourtant du pénal, sans parler bien sûr des mesures administratives, amende et retrait de permis. Mais vous n’êtes pas encore en prison : si c’est votre première infraction, vous pourrez bénéficier d’un sursis.
– Ben justement, je me suis déjà fait choper avec de l’alcool au volant…. On a bien le droit de fêter, non ? Enfin bref, j’ai deux ou trois antécédents.
Un moment de silence. La demoiselle se tient devant lui avec un visage indéchiffrable. Enfin, elle reprend la parole.
L'auteure
Hélène Dormond est née Lausanne. Certaines de ses nouvelles ont été publiées dans des recueils en France, en Belgique et en Suisse. Liberté conditonnelle est son premier roman. (Plaisir de Lire 2016)
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