Les Cahiers de Feu, Sophie Meyer
Les Cahiers de Feu
Editions Montsalvens, 2018
En 1982, Yvan, jeune homme de 19 ans, met fin à ses jours en sautant d’un pont. Trente ans plus tard, Anne revient à Fribourg pour faire toute la lumière sur cet incident tragique qui a marqué son adolescence. Pourquoi son frère aîné s’est-il donné la mort ? Quel secret a-t-il emporté avec lui ? Que va-t-elle découvrir de sa vie personnelle en fouillant dans celle d’Yvan ? Comment accusera-t-elle le coup en apprenant la vérité ?
Dans le récit de Sophie Meyer, se côtoient des situations de non-dits et de questionnements, de complexité et de souffrance, de solitude et d’éloignement. Tant de circonstances qui poussent l’héroïne à se construire enfin, au travers de l’écriture. Mais comment parler de quelqu’un lorsque l’on a refusé si longtemps son souvenir ? Aujourd’hui cependant, elle ne peut plus reculer. C’est une question de survie. Dans cette quête de réponses, l’auteure nous fait déambuler entre le passé et le présent, nous balade dans les lieux de sa jeunesse, nous emmène dans ses souvenirs. Une façon habile de nous dépeindre les principaux protagonistes de son histoire. Histoire quelque peu douloureuse qui, toutefois se termine sur une note positive. La vie peut enfin reprendre son cours.
Quant au texte, Sophie Meyer choisit la première personne pour raconter, du plus profond de son cœur, les sentiments contradictoires qui se jouent ici. Elle ne craint pas de partager des émotions avec le lecteur, choisissant un style simple aux mots bien pesés. Une lecture facile malgré la profondeur et la sensibilité du thème. Certains s’y reconnaîtront, d’autres en découvriront les différents aspects.
Recension Marylène Rittiner
Extrait : pages 33-34
En voulant oublier Yvan, j’ai bien évidemment cherché à fuir une souffrance. Je n’avais pas conscience du danger que je courais en repoussant ainsi dans la nuit tout ce qui pouvait me rappeler sa fin. Le monde indolore que je me suis construit était un monde en suspension. La brûlure du souvenir ne pouvait plus l’atteindre mais une foule d’autres choses se sont aussi irrémédiablement éloignées. L’oubli n’a pas seulement pas ciblé les événements dont je voulais m’extraire. Il s’est propagé à d’autres éléments, et, je le sais aujourd’hui, il est venu attaquer ma vitalité même. C’est peut-être pour en récupérer quelques bribes que suis ici aujourd’hui. Mais j’ai l’impression que c’est plutôt l’inverse qui se produit.
Que puis-je raconter de la vie de mon frère ? Que puis-je dire de l’enfant et de l’adolescent qu’il a été ? Je me retrouve une fois de plus face aux mêmes difficultés. Il y a d’abord ce mouvement de dérobade, cette panique qui me saisit et me pousse à la fuite. Mais si je m’arrête et qu’enfin j’essaie de me retourner, me voici aussitôt transformée en statue de sel. Ma mémoire se fige, mon cerveau se rétracte.
[…]
Bon sang, je ne suis tout de même pas devenue amnésique, je devrais être encore capable de relater de simples faits, de les organiser chronologiquement, d’esquisser ne serait-ce que la trame d’une biographie. Mais ce ne sont que des mots. Des mots sans force qui s’effritent et se dissolvent sur la page. Des mots auxquels il m’est impossible d’accorder la moindre confiance.
De mes souvenirs, il n’en reste que la carcasse. Ni larmes, ni chair. Rien ne tremble. Pas de sensations. Pas de couleur, pas d’odeur, pas de son. Encore moins d’émotion. Je me déteste tellement de ressentir si peu.
Je m’astreins à écrire quelques phrases dans mon cahier. Lorsque cela m’est impossible, je me contente de déposer des mots. Et lorsque les mots tarissent, j’essaie de supporter le silence de la page.
L'auteure
Sophie Meyer est fribourgeoise d'origine. Elle a suivi plusieurs ateliers d'écriture qui ont débouché sur la réalisation de son premier roman.
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