Le sourire de Thérèse de Laurent Koustaissoff

Le sourire de Thérèse

Laurent Koustaissoff, roman,  Editions Stlatkine 2014

Ce roman relate l'histoire de Jean Méyère Castell. Vingt ans après la Deuxième Guerre mondiale, il s'apprête à marier sa fille. C'est alors qu'un livre, dont le contenu peut le détruire lui et sa famille, tombe entre ses mains. Souvenirs d'heures les plus noires de la collaboration. Tout l'univers qu'il a patiemment construit depuis sa jeunesse est dès lors sur le point de s'écrouler.

Extrait P. 72-74, (période: la jeunesse de Jean)

"On cherche un gardien de nuit – bonne présentation"

C'était un simple morceau de carton bleu, glissé derrière la vitre de la porte d'entrée. L'hôtel ne payait pas de mine: une façade de briques et une modeste marquise. Jean entra sans hésiter. Travailler la nuit ne lui faisait pas peur:
– Vous venez pour la place?
– Oui, Madame.

Elle était vieille. Sa tête dépassait à peine du comptoir de la réception.

– Quel âge avez-vous?

– Dix-huit ans.

Il mentait.
– Que est votre nom?

Jean s'était approché. Elle prenait au crayon des notes minuscules dans un calepin. La question était embarrassante. Devait-il répondre "Hans Meier" comme cela était écrit sur ses papiers d'identité? Hans. Il lui semblait entendre la voix de son père, faible et sèche, l'appeler pour livrer une paire de chaussures à un client pressé. Devait-il avouer ses origines allemandes, alors qu'il vivait en France depuis sa naissance?

– Mon nom est Méyère, M-é-y-è-r-e, dit-il en épelant. Jean Méyère.

Elle nota avec soin. Finalement, il lui avait suffi de franciser son nom, rien de plus.

– Puis-je voir votre carte d'identité, jeune homme.

Il hésita. Il fit son regard le plus triste. Sa lèvre tremblait.
– Vous savez, je viens de là-bas.

Il fit un geste vague de la main, indiquant une direction incertaine.
– Mes parents sont morts, toute ma famille a été tuée. Il ne me reste rien.

La vieille avait entendu parler de ces villages proches du front, anéantis par les obus et pourris par les gaz. Elle même était seule et avait perdu tous ses proches. Et il avait une bonne figure. Le seul candidat convenable, ni amputé, ni brûlé, qui s'était présenté depuis des semaines.
Votre travail consiste à être ici, à ma place, entre vingt-deux-heures et six heures trente du matin. Vous ouvrez la porte aux retardataires, vous prenez le nom d'éventuels clients, vous leur montrez leur chambre. Vous pouvez dormir là, dans l'office. Il y a une banquette et un lavabo. Votre salaire sera de…
Jean n'écoutait plus. Il avait réussi. Peu importait le salaire, car pour accomplir le plan qu'il s'était fixé il avait seulement besoin de temps. Le soir même, il brûla sa carte d'identité dans le petit lavabo. La flamme bleutée léchait sa photographie. Son visage se recouvrit de cloques noires, et Hans Meier disparut en quelques secondes dans un mélange d'eau et de cendres.

L'auteur

Laurent Koustaissoff vit à Lausanne. Il a écrit un premier roman "La mort de la carpe " édité aux éditions Slatkine en 2012.

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