Le Siècle de Jeanne, Eric Burnand, Fanny Vaucher

Une famille suisse dans la Tourmente

Editions Antipodes, 2023

L’auteur Éric Burnand et l’illustratrice Fanny Vaucher nous font découvrir les événements importants ayant marqué le 19e siècle, à travers des récits historiques, des cartes, une biographie de personnages ayant influencé la politique, l’économie et le développement social de leur époque. Nous suivrons l’histoire fictive de Jeanne et de sa famille, principalement sous forme de dessins et de lettres. à travers les progrès et les errances de ce siècle.

Chap. 1 — La Révolution

Reflète le besoin d’émancipation de la population soumise à un système féodal, répressif, inéquitable et discriminatoire qui brime les petites gens. L’auteur raconte le soulèvement des paysans vaudois qui attaquent plus de 40 châteaux dans le but de détruire les documents établissant les droits ancestraux des seigneurs. Du côté de l’aristocratie Claude Mandrot (1756-1835), avocat, va solliciter l’aide de la France pour « renverser le système féodal et chasser les Bernois qui occupent le pays de Vaud. »

Extrait page 26. – L’armée française ne se fait pas prier longtemps. En janvier 1798, elle envahit le territoire de la Confédération et favorise l’instauration d’un nouveau régime politique : « La république helvétique», qui offre au peuple suisse des droits jusque-là inédits. La liberté d’opinion, l’égalité entre les citoyens (masculins) et la souveraineté populaire sont garanties. Ce bouleversement suscite de grands espoirs.

Page illustrée 72. – Jeanne est dessinée en face de son père « Dis-toi bien papa, que jamais une paysanne ne deviendra institutrice. Ce métier n’est pas fait pour nous ».

La jeune fille trouvera une place dans une famille riche d’Estavayer où elle se verra obligée de se convertir au catholicisme pour être engagée.

Chap. 2 — La Restauration

Retour à la case départ avec les opposants de la révolution, le Bernois Charles-Louis de Haller (1768-1854), théoricien de la Restauration, prend le contre-pied des idées répandues par Rousseau. Ce courant s’amplifie, ainsi l’aristocratie et l’église retrouvent leurs droits, la torture est rétablie, les députés ne sont plus élus, mais choisis par cooptation…

L’illustrateur dessine Jeanne devant la boulangerie qu’elle tient avec son mari. Elle en entame un dialogue avec un marchand de passage dans sa rue. (p. 85)

– Bonjour, Gustave, comment vont les affaires?
– Ça irait s’il n’y avait pas toutes ces taxes… surtout la dîme. Je donne beaucoup de blé au couvent.
– Au couvent ?
– Ben oui, c’est les Dominicaines qui ont les droits féodaux et je leur dois deux jours de corvée par mois.

Chap. 3 — La guerre civile

Une Confédération suisse divisée

Extrait page 126. – L’assemblée des délégués des cantons, qui dirige la Confédération suisse, est profondément divisée entre progressistes et conservateurs. Dès 1845, des groupes anticléricaux s’en prennent aux couvents tenus par les jésuites. En réaction à ces agressions, sept cantons catholiques — dont Fribourg — concluent « une alliance particulière », le Sonderbund, qui sollicite l’appui de puissances étrangères pour faire sécession. La religion n’est pas la seule en cause : les cantons progressistes s’opposent à ceux du Sonderbund également sur les questions économiques et sociales.

Une carte situe les événements de la guerre civile de1847 (p. 154, gauche).

Une autre carte dessinée (p. 155, droite) illustre la création d’un  nouveau pays fondé en 1848 sur la démocratie. Explications de l’auteur sur la Constitution de 1848, la place de la Suisse en Europe continentale et la naissance d’un État fédéral.

Chap. 4 — Héritage

Quelques précurseurs mettront leur talent au service du développement industriel du pays, dont Heinrich Kunz (1793-1858). L’usine qu’il hérite de son grand-père emploie une centaine d’ouvriers, dont des familles avec de nombreux enfants.

Extrait p. 188. –  Dans ces familles, la vie quotidienne est dictée par l’usine. Pour survivre, tout le monde est au labeur : les parents quatorze heures par jour, les enfants dès l’aube, avant l’école, puis de l’après-midi, jusqu’au soir.

En un demi-siècle Heinrich Kunz, apporte donc à Oberuster deux innovations : l’industrialisation du filage et l’émergence de la classe ouvrière.

Certaines personnalités se préoccupent de l’exploitation des enfants dans l’industrie et s’inquiètent de la  longueur des journées de labeur des adultes. Le progrès social est en marche. Wilhelm Joos, député indépendant au Palais  fédéral depuis 1863 est le premier à ajouter le travail des enfants à l’agenda politique.

La place des femmes dans la société est loin d’être acquise. Émilie Kempin-Spyri, la première femme à décrocher un doctorat en droit est exclue du prétoire « puisqu’elle n’est pas une citoyenne active ».

L’illustrateur la représente dans un dialogue avec son mari. Extrait p. 261

– La réponse du Tribunal fédéral à mon recours !
– Eh bien ? Lis vite !
– Rhaa, il estime que je ne peux pas être une « citoyenne active » puisque
  je n’ai pas le droit de vote et que, selon le Code civil, je suis sous la tutelle
  de mon mari… Donc de toi.
Bon sang, ils ne peuvent pas m’interdire de plaider (elle cherche un livre dans sa bibliothèque) là.
(Elle lit le texte à son mari) — Article 4. Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n’existe en Suisse ni rapports de sujétion ni privilège de lieu, de naissance, de famille ou de personne.
(Elle est dessinée, la plume en main, assise à son bureau) – Je fais recours, on verra si le Tribunal fédéral a le courage de faire appliquer la constitution.

Ce ne fut malheureusement pas le cas. « Émilie mourra en 1901, isolée et démunie ». Son cas est « symptomatique de la condition féminine en Suisse : malheur à celles qui sortent du rang. » p. 230

D’autres éléments auraient mérité de figurer dans ce compte-rendu, notamment : l’immigration des indigents fribourgeois vers le Brésil (1819 et 1849), le bouleversement climatique de 1816 qui affecta toute la planète, anéantissant les cultures et répandant la famine en Suisse. Cent ans plus tard, on apprit que le nuage de poussière provenant d’un volcan en éruption en Indonésie avait pollué la stratosphère par un voile de cendres qui avait masqué les rayons du soleil. Cette situation perdura pendant deux ans (p. 90), etc.

Lire pour découvrir les autres merveilles que contient cet ouvrage.

Recension Anne-Catherine Biner

Loading

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire