La Pierre d’Amour, Danielle Berrut
La Pierre d'Amour
Danielle Berrut , recueil de nouvelles, Edition Xénia 2014
Léonie et sa mère. Sa mère et Léonie. Deux femmes, une seule âme. Et lorsque sa mère décède, Léonie la réinvente peu à peu jusqu'à leur rendez-vous quotidien devant un miroir où le dialogue se renoue. Dans cette histoire, le miroir sans tain devient l'acteur de la transformation de Léonie. Ami ou ennemi? Le frère de Léonie aura le dernier mot.
Extrait P. 79-80 (Le Miroir sans tain – la mort de la mère de Léonie)
Choix de l'ouvrage, extrait et commentaire ACB
Sentant la tristesse l'envahir, Léonie se ressaisit et fredonna un air. Tout doucement. Sa voix tremblait tellement. Car ce qui lui arrivait était encore inimaginable quelques jours auparavant: sa mère était en fin de vie. Elle chassa cette pensée et se concentra sur le chant. Elle avait toujours aimé chanter, elle avait fait partie de plusieurs chorales et connaissait une multitude de chansons. Mais ce jour-là, elle ne se souvenait de rien. Si les premiers mots d'un refrain lui revenaient, la suite se perdait aussitôt. Ne lui restait plus qu'à siffloter la mélodie. Elle fit encore un effort de mémoire et, peu à peu, musiques et textes revinrent ensemble. Les chants de sa petite enfance. Ceux que sa mère entonnait à la cuisine de sa belle voix, tandis qu'elle rêvassait encore dans son lit en fixant le plafond. Sur les lames claires, les noeuds du bois dessinaient des formes étranges et elle les combinait pour faire apparaître des visages de monstres.
Elle a commencé à fredonner plus tôt déjà. Sa voix, tantôt caressante, tantôt espiègle, répandit bientôt fantaisie et bonne humeur dans la petite chambre. De temps à autre, sa mère ouvrait les yeux et la regardait avec étonnement. Sans doute reconnaissait-elle les airs d'autrefois, ceux qu'elle avait aimés dans ses jeunes années.
Une infirmière entra à nouveau avec un thermomètre. Le chant fit place à un bref dialogue:
– Elle n'a rien mangé?
– Non, répondit Léonie, honteuse de n'avoir pas réveillé sa mère pour lui faire avaler quelques bouchées de flan.
– Bon. Laissons-la encore dormir un peu. Appelez-nous quand elle se réveillera.
L'infirmière consciencieuse repartit sur la pointe des pieds , emportant avec elle la blancheur immaculée de son uniforme et la clarté de son teint. Un peu plus tard, elle traversait le parc à grands pas, une écharpe nouée négligemment autour du cou et les cheveux au vent. Le nez levé, elle fixait l'horizon, laissant derrière elle ceux que la vieillesse ou la maladie clouait au lit.
Peu à peu, la nuit tomba, obscurcissant les coins de la chambre. Où rien n'avait bougé. Elle chantonnait encore les berceuses que lui murmurait sa mère quand elle était enfant et qu'elle n'arrivait pas à s'endormir. La douceur d'une époque heureuse les enveloppait toutes les deux. Elles avaient retrouvé le temps des commencements où tout était tendre et réconfortant.
L'auteure
Danielle Berrut est née à Morgins (VS). Passionnée de littérature, elle fait une licence es lettre à l'Université de Fribourg. En 2013, son premier recueil de nouvelles A Fleur de Nuage édité chez Xénia remporte le prix du Village du Livre de Saint-Pierre-de-Clages. La Pierre d'Amour, édité chez Xénia en 2014 est son deuxième recueil.
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