La petite Dernière, Fatima Daas
Editions Noir sur Blanc, 2020 – Notabilia
Fatima Dass, c’est « un nom qu’il ne faut pas salir », celui de « la plus jeune des filles du dernier prophète, Mohammed », un nom qui revient comme un leitmotiv, tout au long du récit, celui de l’héroïne. Fatima Dass, c’est aussi le nom de l’auteure de « La petite dernière ».
Jeune Française d’origine algérienne, Fatima Daas est déchirée entre le devoir de plaire à sa famille, le désir de pratiquer sa religion de toute son âme, et le besoin de trouver sa place au sein d’une société qui semble ne pas lui convenir totalement. Parviendra-t-elle à tout concilier ?
Elle puise alors dans sa vie pour nous conter, en vrac, des morceaux de son existence qui sonnent telles des confessions, tels des aveux couchés dans un journal intime. Elle utilise une écriture simple et sans fioriture pour dire ses sentiments, ses doutes, sa culpabilité. Avec tact et finesse, elle choisit ses mots et se risque aux reprises et répétitions pour tenter d’amener le lecteur dans son monde de contradictions. Elle y associe quelques touches de la langue de ses parents, l’arabe, par amour pour sa famille, par respect pour ses racines.
Malgré ses douloureuses questions, Fatima Dass, nous livre finalement tout en douceur et discrétion, un récit bien rythmé qui chante comme une psalmodie où se mêlent la rigueur de l’éducation et une certaine tendresse. Pas facile de s’y retrouver lorsque l’on est « une erreur, un accident. » Alors, pour rester vivante, Fatima Dass ne renonce à aucun de ses choix…
Recension Marylène Rittiner
Extraits, p. 184-185
Ma mère sort des madeleines du four, elle les dépose sur le bar avec deux verres de thé. Elle dit qu’elle les a faites ce matin, après la prière, parce qu’elle n’arrivait pas à se rendormir.
Je suis bien la fille de ma mère.
Takhmem. Cogiter.
Je me dis alors qu’il n’y a aucun lien entre les madeleines et mon anniversaire.
Ma mère réplique :
– Goûte !
À l’intérieur des madeleines, il y a une petite boule au chocolat blanc.
Ça croustille quand je croque.
L’odeur des madeleines remplace celle du musc fruité.
Ma mère propose pour la première fois de m’apprendre à cuisiner des madeleines.
Pour en faire à celui que j’aime.
– Gagh nass thèb lmadlène ! – Tout le monde aime les madeleines !
Je pense aussi fort qu’elle que tout le monde aime les madeleines, surtout celles de ma mère, mais je ne lui dis pas.
Je préfère lui demander naïvement :
– Mais si on aime quelqu’un qui ne nous aime pas, on lui fait quand même des madeleines ?
– On n’aime pas les gens parce qu’ils nous aiment en retour.
On les aime. C’est tout.
Et quand elle dit ça, aussi efficacement en une seule phrase, je me dis que c’est le moment de répondre à sa question, Wech kayèn ? Quoi de neuf ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Il n’y a personne à la maison. Je suis seule avec elle, dans son Royaume.
Page 186
Ma mère me parle d’un reportage qu’elle a vu à la télé, sur les conditions de travail des infirmiers dans les hôpitaux.
– Kènt haba nwèli firmiya bessah khouya ma khalanich. « Je voulais être infirmière, mais mon frère me l’a interdit. »
Je dis avec beaucoup d’émotion à ma mère que ce n’est pas trop tard.
– Dorka, ntouma lazem derou haja kbira bach nkoun mheniya. « Aujourd’hui, c’est à vous de faire de grandes choses, comme ça je serai apaisée. »
Elle avait dit mheniya, apaisée, déchargée, soulagée, consolée.
J’aurais préféré qu’elle dise « fière ».
Mais, tout compte fait, c’est peut-être mieux d’être apaisée que fière.
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