La colère du Lemanus, Carine Racine
Editions Cabédita 2021
En 563, une vague géante déferle sur les rives situées entre Villeneuve et Genève. Ce tsunami, provoqué par l’effondrement d’un pan tout entier de montagne, dans les eaux calmes du Léman, ravage tout. Des berges, champs et villages alentour, il ne reste rien ! Tout est détruit, la lame meurtrière emportant au passage les habitants de la région. Sigéric et son frère Salvius sont épargnés contrairement à leurs familles qui périssent. L’un, toujours dans le souvenir de sa femme et de sa fille, s’offre au service d’un comte près de Lausanne, l’autre, devient moine au monastère de Saint-Maurice, se vouant corps et âme pour la foi.
Six ans plus tard, les Longobards boutent le feu dans le village de la jeune Valia et le mettent à sac. L’adolescente de quinze ans réussit à fuir devant la violence de ces barbares avant d’être recueillie par Salvius, le religieux. Quelque temps plus tard, Sigéric prendra sous son aile, un jeune novice recommandé par son frère, pour être formé au combat. Un gamin impulsif plein de surprises …
« La colère du Lémanus » plonge le lecteur dans des événements oubliés ou du moins, peu connus de l’histoire de la Suisse.
L’auteure, Carine Racine, nous emmène ici dans une tragédie bien loin des aventures dédiées habituellement à la jeunesse : un drame autour du Léman et la dure réalité d’une époque où des guerriers sanguinaires n’hésitent pas à piller, saccager, violer, tuer.
Un roman historique passionnant, porté par des personnages attachants comme Valia, héroïne fougueuse et déterminée. Au fil du récit, les protagonistes se dévoilent au travers de leurs blessures, et livrent, par leur raisonnement intérieur, un mélange d’émotions, rage, colère, haine, mais aussi courage, endurance, honnêteté, amour et amitié.
Malgré les centaines d’années qui nous séparent de cette période reculée, le lecteur se reconnaîtra parfois dans certaines attitudes face à diverses situations éprouvantes.
Carine Racine peaufine son écriture en mêlant quelques mots anciens et plusieurs noms géographiques du VIe siècle. Voilà une bien astucieuse façon d’immerger le lecteur dans l’histoire de la région…sans toutefois négliger le pur plaisir du roman.
Extrait p 34
Valia frissonne depuis qu’elle est sortie de la rivière. Ses vêtements refusent de sécher dans l’air encore humide de l’aube. Elle plaque son bras contre sa poitrine pour soulager son épaule malmenée. Dans sa main valide, le scramasaxe la rassure. Elle est prête à embrocher qui osera s’approcher. Homme ou bête. Ses pieds nus, en sang, ne lui font même plus mal. La douleur de ses plaies la garde en alerte. La plus pénible se situe au milieu du cœur. Elle a tout perdu : sa famille, son seul ami, sa virginité, sa dignité, sa foi. Ne lui reste que la vie, qu’elle va défendre, sans limite, sans abdiquer, jamais.
Extrait p. 35
Au milieu des herbes hautes, constellées de fleurs colorées, un homme maigre en longue robe brune se penche, examine les corolles, les pétales, coupe une tige, en délaisse une autre. Valia remarque que le sommet de son crâne est rasé et bordé de cheveux noirs. Le moine ne semble pas encombré par sa tunique rêche et effilochée, quand il s’accroupit. Avec un étrange grattoir, il sort des racines de terre et les dépose dans sa besace. Une main posée sur le sol humide, il se redresse et passe sa manche retroussée sur son front. Un long soupir s’échappe entre ses lèvres fines. Il jette un coup d’œil vers le pont épais qui franchit le Rhodanie peu avant Agaune, puis continue sa quête.
Valia reste en retrait, dissimulée par les buissons touffus. Elle hésite à s’approcher. Son estomac gargouille si fort qu’elle sursaute. Le moine aussi. Il plante l’outil dans la terre et se tourne vers la rescapée de Vernata.
Tremblante, épuisée, affamée, la jeune fille s’appuie au tronc chétif d’un jeune bouleau. Elle n’a plus la force de reculer.
Salvius avance et lui tend la main.
Recension Marylène Rittiner
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