Impasse khmère, Olivia Gerig

Impasse khmère

Olivia Gerig, roman, Edition Encre Fraîche, mars 2016

Une famille cambodgienne dans les années 70. Une famille comme on en voit partout dans le monde, ici ou ailleurs, qu’importe… et la vie qui s’écoule paisiblement, entre joies et soucis quotidiens. Et soudain, le chaos ! Une famille déracinée, maltraitée, séparée, et puis, la peur, l’incompréhension, la souffrance. Pour certains, la mort, pour d’autres, la résignation. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges vident Phnom Penh, capitale du Cambodge, de tous ses habitants, pour une marche forcée vers des camps, dont la famille Sok.

Quelque quarante ans plus tard, après la perte de son bébé et le pénible divorce qui suivit, Julia accepte, sans une hésitation, une mission pour une ONG, à l’autre bout du monde. Ce travail au Cambodge est l’occasion rêvée de fuir les souvenirs douloureux qu’elle vient de vivre et ainsi de retrouver « son âme perdue ».

Dans la maison des expatriés où loge Julia, une présence particulièrement insolite, un fantôme, prend des airs de personnage qui va se manifester de diverses façons pour lui délivrer un message. L’auteure, Olivia Gerig nous emmène sur les traces de son héroïne, Julia, à la rencontre de quelques rescapés. Dès les premières pages, nous sommes baladés entre le passé et le présent des divers acteurs de ce roman bien ficelé. Nous avons tous plus ou moins entendu des témoignages tragiques de ces années de terreur sous le régime de Pol Pot. Mais peut-être prenons-nous davantage conscience des souffrances monstrueuses vécues par les victimes, lorsqu’elles sont relatées dans un récit et autour d’êtres humains qui pourraient être nos parents, nos fils, nos filles… nous-mêmes. Cependant, Olivia Gerig a su nous préserver de l’horreur. Elle a trouvé les mots pour dire avec justesse les choses innommables sans que ces dernières soient pour autant insupportables à leur lecture. Et c’est tant mieux ! Parce que de beaux événements aussi s’y passent après cette longue période sombre. De nouvelles perspectives d’avenir, d’émouvantes retrouvailles, de magnifiques rencontres, et même…une délivrance insolite. Toute une aventure passionnante malgré un douloureux passé. Tout un tableau animé qui renverse le cours de l’existence des uns et des autres. Ce roman nous prend du début à la fin par son caractère historique et actuel tout à la fois. Il nous émeut par les sentiments si proches de deux femmes pourtant si différentes. Il remet en question notre regard sur nos vies. Chance ou malchance ? Bon ou mauvais karma ? Et si pour une fois il n’y avait que le meilleur ? Et si pour une fois, seul « l’espoir faisait avancer » ?

Bousculés au milieu de nos existences, pouvons-nous, comme Julia, nous « ouvrir au bonheur » ? Avons-nous « la force de changer les choses » ?

Recension Marylène Rittiner

Chapitre Révolte – Extrait pages 41 -42

Elle sanglotait en silence, ses petites mains serrées contre sa poitrine. La couverture ne lui couvrait le corps que jusqu’aux genoux. Elle protégeait sa sœur, Chea, qui avait deux ans. Seule sa tête dépassait du tissu. Des cris de terreur l’avaient réveillée. Sa petite sœur dormait encore paisiblement. Sa respiration lente la calmait d’ordinaire. Elle aimait la regarder lorsqu’elle était assoupie. Parfois, elle lui caressait les cheveux doucement. Elle la protégeait et lui avait juré d’être toujours là. Aujourd’hui, elle ne savait pas si elle en serait capable. Des hurlements se faisaient toujours entendre. Puis, il y avait aussi des détonations. De grosses voix d’hommes en colère. Des supplications. Là où elle se trouvait, il semblait que le monde s’écroulait.

Lorsque son père, pris de panique, tenant sa mère par la main, avait fait irruption dans la petite chambre qu’elle partageait avec sa sœur et ses deux frères, elle avait compris. Il ne s’agissait pas d’une journée ordinaire. Son père, si posé, si doux, toujours soigné, était apparu décoiffé, les yeux exorbités. Il n’avait prononcé que quelques mots : « Mes enfants, nous devons partir. Habillez-vous, dépêchez-vous, je vous en prie… Pardonnez-moi, mes enfants. » Chea se réveilla alors en sursaut. Elle qui, quelques instants auparavant, dormait encore profondément, hors de danger.

Dans la rue, le chaos régnait. Il y avait des gens partout, sur le sol, sur le toit des maisons, sur des voitures, sur des camions, sur des vélos. Du bruit, des cris, des explosions, des tirs d’armes à feu, des pleurs emplissaient la ville. Au milieu de ce désordre, il y avait surtout de très jeunes hommes vêtus de noir, portant autour du cou des kramars rouge sang.

C’est alors qu’un groupe pénétra dans la maison de Chea, Chantah et de leurs parents. Ils n’avaient pas eu le temps de fuir. Les jeunes gens, qui faisaient partie des brigades armées des Khmers rouges, venaient d’évacuer la ville pour nourrir de main d’œuvre les camps de travail dans le nord du pays, abolir les classes et chasser les intellectuels. Il n’y aurait plus qu’une seule classe au Cambodge, celle des paysans. C’est ainsi que le dirigeant du Kampuchéa démocratique Saloth Sâr – Pol Pot – l’avait décidé. L’emploi de la force et de la contrainte était justifié pour arriver au bien commun…

L'auteure

Olivia Gerig est née le 7 mars 1978 à Genève. Passionnée de lecture et d’écriture dès son plus jeune âge, timide, elle trouvera par la rédaction et l’imagination le moyen de s’évader et de s’exprimer. Elle obtient un Master en relations internationales en 2002. Impasse Khmère est son deuxième roman.

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