Dites-moi la vérité, Claude Luezior

Dites-moi la vérité

Claude Luezior, Editions Buchet/Chastel
préface de Jean-Bernard de l'Académie française

Le docteur Fabienne officie comme médecin à la campagne. Un regard sur l'arrière-pays, les gens de la terre, Fabienne nous fait découvrir tout un monde physique et psychologique. Une façon de vivre et d'être, de penser. Pour tout ce petit monde, elle représente l'espoir d'un soulagemenet, d'une guérison, mais ce n'est pas toujours possible et quelque fois la fatalité s'en mêle et la mort prend le pas sur la vie.

Chapitre III, médecin au bout de l'Empire, extrait P. 25-26

Le docteur Fabienne était médecin d'une arrière-province. Elle soignait les destinées d'un stéthoscope agile. Sa frimousse pouponne et un regard doux lui avaient valu plus de sympathie dans les sourcils paysans que ses titres et ses diplômes.

Fringuante, elle avait, il y a quelques années, accroché ceux-ci avec une fatuité juvénile, aux premières heures de son cabinet. Avec des clous bien neufs et un regard de géomètre. La tapisserie sentant encore la colle diluée. Elle aurait pu alors faire d'un coup cent diagnostics, de cet air savant qu'on lui avait si bien enseigné dans les suites hospitalières. Ordonner des pilules à chaîne et des kyrielles de bains, de cures sulfureuses et de massages "très efficaces".

Depuis, elle avait appris que le muscle n'en fait qu'à sa tête et que les vertèbres mijotent leur arthrose sans tenir bien compte des imprécations thérapeutiques. Les vieux de ces campagnes étaient fidèles mais de nature méfiante et ne sortaient que lorsqu'une morsure était bien infectée. On traitait; la nature faisait le reste, et souvent admirablement. Fabienne avait dû reclasser ses principes et ses théories toutes neuves; elle avait appris.

Elle allait à domicile, là où la misère est à crû, là où l'on respire la lenteur des choses. Grisaille de chambre sans livres. Lavabos usés et linges râpés, mais souvent tout propres "pour le docteur". On prenait une sorte d'affectation grave devant le prêtre de la vie, celui qu'on remercie d'être passé "avant le soir". Avant que la louve de la nuit ne prenne possession des songes. On appelait Fabienne par espoir, pour se rassurer en tout cas. Pour que les onguents évitent peut-être les onctions.

Petit à petit, elle avait appris à connaître ces gens aux pognes infinies, ces regards de fonds de cours. Elle avait appris à jauger le long silence du respect: le silence cotonneux d'un début de vie et celui, usé d'un dernier soupir.

L'auteur

Romancier, nouvelliste, poète, Claude Luezior est à la fois homme de plume, neurologue et professeur de médecine à l'Université. Son style concis, en constante recherche esthétique, cisèle un nouvel humanisme. Révolte et compassion sont les trames de sa prose.

Sa trentaine d’ouvrages publiés a été couronnée par l'Ordre national des Arts et des Lettres (Ministère français de la Culture), ainsi que par la Médaille du Rayonnement culturel de la Renaissance française. Fragile a reçu un prix de poésie de l'Académie française et son roman Monastères a obtenu au Sénat le prix de l'Association des Écrivains de Langue française – Ville de Paris. Certains de ses livres ont été traduits en allemand, roumain, grec et italien et ont été transcrits en braille.

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