Dire Babylone de Safiya Sinclair
Buchet Chastel 2024
Société Libella
Une poétesse qui parle avec force et conviction
Safiya Sinclair, une auteure originaire de Jamaïque dont la détermination, la sincérité et la voix proférée indéniable et profonde, ne sont plus à démontrer, a écrit et publié récemment un ouvrage intitulé « Dire Babylone » qui connaît un succès international.
Ce livre traversé de vibrations intérieures puissantes et parlantes nous fait découvrir le destin particulier de Safiya Sinclair qui a vécu une jeunesse pleine de rebondissements et découvertes, suivi d’un exil aux Etats-Unis où elle a mené des études qui l’ont révélée à elle-même et fait connaître des chemins de pensée originaux et parsemés de bonheurs de création littéraire forte et charpentée.
Dire Babylone nous conte l’histoire de cette jeune fille qui a vécu insouciante au début sur une plage préservée de Jamaïque où les affres du tourisme moderne de masse n’ont pas encore transformé le rythme de vie des habitants, ni leurs valeurs, ni leurs habitus et schèmes de comportement bien que la conscientisation de l’évolution sociétaire se fasse jour.
Rigueur Rastafari
Une famille avec un père musicien de reggae et une mère présente ouverte à la littérature et aux émotions profondes qu’elle peut créer en nous. La jeune fille évolue ainsi dans un univers de musique et de mots, au milieu de paysages encore purs et habités par une luxuriance baroque envahissante, qui peut être aussi quelque peu étouffante parfois. Ce décor et ce milieu qui peuvent paraître idylliques au premier abord laissent entrevoir une forme d’oppression intra familiale et de pouvoir coercitif du père qui impose des règles qu’il tire de la religion et préceptes rastafari.
Pour ce patriarche qui a en horreur Babylone , symbole de décadence avec une forme de vie « maquillée », danse, musique, débauche, mais qui signifie aussi les contraintes et les violences policières de la royauté britanniques, la conduite de sa vie se doit d’être cadrée et droite, pure et sans relâchement.
Si la mère se plie aux exigences de son mari imprégné des croyances Rastafari, proches par certains aspects de la religion judéo-chrétienne , une sorte de secte aussi, il n’en est pas de même pour notre héroïne .
Se libérer à tout prix
Safiya manifeste des désirs d’émancipation et veut se construire d’elle même, psychologiquement, philosophiquement , socialement, et mener sa propre existence avec détermination et ouverture. Elle partira ainsi faire ses études aux Etats-Unis.un combat pour s’éloigner des rigueurs rastafari, des discriminations face aux minorités, et une force engagée pour l’émancipation de la femme.
Safiya s’est ainsi trouvée dans une forme de déchirement intérieur, et son exil à l’étranger va la conduire sur des itinéraires existentiels tout différents mais fondateurs de sa nouvelle indépendance.
Une auteure rebelle et engagée
Le livre Dire Babylone est soutenu et rythmé par une langue souple, luxuriante,virevoltante par moments, pleine de nuances, de déclinaisons psychologiques, qui saisit avec sensibilité et vivacité les moindres inflexions de l’âme et du cœur.
Paysages et personnages vivent souvent à l’unisson comme d’ailleurs existence et préceptes moraux, religieux. Lorsque que la jeune femme rencontre le Vieux Poète au milieu des hibiscus et des bougainvilliers on y découvre des instants de complicité émouvants, touchants, l’on y parle de mots, de constructions syntaxiques, de sensations, de Poèmes, de Dylan Thomas, de Shakespeare, de Yeats, de Poe, de cosmogonies, de mondes lointains, de rêves à configurer, de Hopkins… »
« Un vrai poète, selon Nabokov, s’inscrit chez le lecteur non pas dan sa tête , son cœur ou même ses tripes, mais dans sa colonne vertébrale » lui a soufflé le Vieux Poète.
Safiya Sinclair se sauvera par la littérature, l’exil et un esprit d’émancipation bien forgé: sa vie dans laquelle elle ne voulait pas se retrouver soumise et néantisée, qu’elle désirait libre et épanouie au contraire de sa mère dévouée et effacée, elle la trouvera dans son départ du foyer familial.
Mais « le hibou pâle du passé » va poursuivre notre poétesse très longtemps, l’époque coloniale, l’esclavagisme. Et cette phrase terrible qui résonne dans les dernières pages: « Enfin, je comprends. Il n’y a pas de rêve américain sans massacre américain. Des villes noires brûlées, des familles indigènes déplacées, des terres volées, des terres ruinées: voilà l’invention de la blancheur, une violence. Voilà la blessure originelle. Je suis ici à Babylone, en proie au mal du pays, et je suis en colère, tellement en colère contre tout cela. » un cri venu du tréfonds de l’être, et un livre magnifiquement écrit et signifiant qui se termine par des remerciements profonds à sa famille, à son histoire, à la Jamaïque.
Recension Jean-Marc Theytaz Journaliste-poète
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