Cortex, Philippe Favre
Cortex
Philippe Favre, roman anticipatoire Edition Favre SA. Lausanne, 2016
Le Human Brain Project a pour ambition de créer une machine qui simule le cerveau humain grâce à un superordinateur et ainsi découvrir de nouveaux traitements pour certaines maladies neurologiques.
Malcolm, jeune chercheur, fait partie de l’équipe scientifique de Gregory Coleman, chef du projet. « A un certain point, les opportunités se mettront en place » [avait dit Coleman]. Nous devons y être préparés car tôt ou tard il faudra basculer toutes nos expérimentations sur un sujet humain. N’oubliez jamais que c’est un passage obligé et que tout nous y conduit. Soyez donc prêts pour ce moment décisif. » (p. 51) .
Mais comment réagir lorsque la première expérience concerne Lana, la propre fille de Coleman, qui, en plus, est jeune et belle ? Et que faire quand son cerveau, en état de mort cérébrale, redémarre après qu’on lui ait prélevé ses organes ? Peut-on l’imaginer vivre dans un corps virtuel à l’esprit numérique ? Pour certains, c’est la promesse d’une immortalité, pour d’autres, cela est éthiquement inconcevable.
Malcolm, en charge de prendre soin de Lana, apprend rapidement à communiquer avec elle. Très vite, il se sent partagé entre le désir de la connaître davantage et la culpabilité de la voir ainsi, impuissante, livrée à la science.
La mort soudaine et suspecte d’un proche collaborateur de Coleman va entraver la suite de l’expérience. Au fil de l’enquête menée par l’inspectrice Burton, nous découvrons les dessous, les risques de dérapages et les travers d’un défi d’une telle envergure. L’auteur, Philippe Favre, nous emmène dans une aventure exceptionnelle et palpitante où nous sommes tantôt fascinés par cette démarche expérimentale, tantôt troublés par l’horreur de la situation.
Le récit, ponctué de mots scientifiques et de passages techniques, sans toutefois tomber dans un vocabulaire abscons, donne le ton du roman. Avec talent, Philippe Favre a su trouver, dans son écriture, un bel équilibre entre science et humanité, afin que tout un chacun puisse se délecter de l’histoire. Et pour parfaire le tout, un éventail d’émotions nous tient en haleine jusqu’au dénouement quelque peu explosif de cette fiction passionnante.
Après 1352, Un médecin contre la tyrannie, roman historique dont le sujet est à l’opposé de Cortex, nous ne pouvons qu’être admiratifs dans l’art de Philippe Favre de décrire des époques et des contextes si différents.
Recension: Marylène Rittiner.
Extrait P. 126, 128 (chapitre 18, Galileo! Galileo!)
Dérangé par un bruit parasite, Malcolm s’interrompit. C’était le bourdonnement entêtant du scanner IRM qui avait automatiquement redémarré. Il déposa son instrument et sortit l’écran de contrôle du mode de veille. Malcolm demeura interdit face aux cadrans de l’imageur qui indiquait une intense activité cérébrale. Il jeta un coup d’œil au sarcophage pour vérifier que c’était bien le corps de Lana qui s’y trouvait. Comment un cerveau dans le coma pouvait-il afficher des valeurs comparables à celui d’une étudiante en pleine préparation d’examen ?
Malcolm sentit sa pilosité se hérisser le long de sa nuque. Pouvait-il avoir provoqué d’une manière ou d’une autre ce chambardement? C’était ridicule. Il avait certes quelque peu massacré Bohemian Rhaposody, mais pas au point de réveiller une morte ! Il devait y avoir une cause technique : soit une interférence soit un dysfonctionnement du scanner. Les seuls capables de le déterminer auraient été Herz-Lamberz et Christine Le Seuil mais tous deux étaient retournés à Paris. Quant à Schreier…
Malcolm reprit ses esprits. Il vérifia que l’enregistrement du scan en cours était correctement sauvegardé. Il prit alors la décision de redémarrer le logiciel qui pilotait l’imageur. Le bruit de machine à laver s’interrompit et l’écran redevint noir. Pour un temps, il n’y eut plus que le vrombissement sourd de la ventilation et celui plus discret de l’appareil de circulation extracorporel de Lana. Puis le bip du détecteur d’activité conçu par Olivier annonça le redémarrage du scanner. Les uns après et les autres, cadrans et graphiques se réaffichèrent. Malcolm déglutit avec peine. La rangée de points indiquant l’estimation du niveau de conscience était passée intégralement au vert. Aucun doute n’était possible : la jeune femme morte, vidée de ses organes, dont le cerveau décalotté leur servait d’objet d’expérimentation depuis des semaines, venait de ressusciter. Il contempla le pauvre visage aux yeux vitreux et le corps hâve aux chairs boursouflées tout le long de la cicatrice qui barrait la poitrine. Malcolm sentit un spasme lui remonter le diaphragme comme lors de ses entraînements d’apnée. La dépouille qui flottait dans le bain de Rivella était redevenue une personne ; et il était de ceux qui avaient rendu possible cette abomination !
Mais comment le cerveau pouvait-il donner des signaux de pleine conscience alors que l’irréversibilité du coma avait été diagnostiquée ? Richon allait devoir expliquer cela… Mais d’abord rappeler d’urgence toute l’équipe ! Malcolm ouvrit une session sur son propre poste et se connecta à l’intranet qui disposait d’un module d’appel d’urgence à destination des membres de l’équipe de coordination. C’était de cette manière qu’Ivo les avait tous contactés le matin même.
Pendant que les notifications partaient via internet et les réseaux GSM, Malcolm composa manuellement le numéro de Richon puis il se ravisa. Coleman pourrait mal prendre de ne pas avoir été le premier contacté.
« Coleman.
– Bonsoir professeur, c’est Malcolm.
– Que se passe-t-il ? C’est vous qui venez de déclencher cette alarme ?
– Oui professeur, nous avons un imprévu… »
Malcolm hésita à poursuivre. « Vous ne m’appelleriez pas pour jouer aux devinettes Saudan ?
– C’est au sujet de Lana. Elle… »
Cette fois Coleman ne le bouscula pas. Il devait être surpris, s’attendant plutôt à ce que ce soit au sujet de l’enquête qu’on le sollicitât.
« Poursuivez, je vous écoute. »
Malcolm prit une inspiration.
« Lana est sorti de l’état de conscience minimale.
– Vous voulez-dire qu’elle est retombée en mort cérébrale ?
– Ben non, au contraire…
– Savez-vous que vous commencez à m’agacer ?
– Tous les paramètres indiquent qu’elle est passée à l’état de conscience. C’est inexplicable, mais le cortex pariétal médial est très clairement actif. Je dirais que nous sommes en présence d’un locked-in. Elle est sortie du coma mais se retrouve dans l’incapacité de communiquer.
– Je sais ce qu’est un locked-in, Saudan.
– Oui, pardon… Faut-il que j’appelle Franck Richon ?
– Je m’en charge. Mais j’ai une faveur à vous demander…
– Je vous écoute.
– Ne la laissez pas seule. Pas une seule seconde jusqu’à ce que j’arrive, Malcolm ! Et parlez-lui. Parlez-lui sans cesse.
– Mais comment…. »
Coleman avait coupé la communication.
L'auteur
Philippe Favre est né en 1960 en Valais. Il s'intéresse à l'informatique et à l'histoire. Son premier roman 1352, Un médecin contre la tyrannie (2014) reflète sa passion pour le passé de son canton, le deuxième Cortex, sa passion pour l'informatique et ses applications, notamment dans la médecine de pointe (2016).
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