CARA, Sabine Dormond
Editions M+Edition 2021
Clémence, respectable dame du quatrième âge, attachée à la nature et à la liberté, s’ennuie dans son village reculé du Jura et tente de survivre tant bien que mal au milieu d’une génération robotisée. Mais un coup de fil inattendu de son petit-fils la met soudainement en effervescence. En effet, ce dernier s’invite pour le dîner de Noël, le lendemain, avec femme et enfant qu’elle ne connaît pas.
Débarquent alors dans sa vie, Loïc, son arrière-petit-fils de quatorze ans, et son énigmatique et remarquable amie Cara. Malgré les près de quatre-vingts ans qui les séparent, une affinité quasi instantanée s’installe entre Clémence et Loïc. Et durant les jours suivants, une succession de péripéties va pimenter l’existence morne de la vieille dame et faire remonter quelques douloureux souvenirs.
Chigiru, adolescente mal dans sa peau et qui peine à trouver sa place dans une société du paraître, n’est pas étrangère à tous ces événements inattendus. Du fil à retordre pour l’arrière-grand-mère, mais de quoi se sentir à nouveau bien vivante !
L’auteure, Sabine Dormond, nous entraîne dans une aventure moderne et branchée. Les héros principaux, Clémence et Loïc, sont attachants, et ils semblent diamétralement opposés : l’un étant influencé par mai 68, l’autre, par les réseaux sociaux. Cependant, au fil du récit, une belle complicité les unira et les poussera à s’épauler lors de situations quelque peu audacieuses. Cara et Chigiru, personnages tout aussi sympathiques, entrent rapidement en scène corsant ainsi cette passionnante histoire.
Une écriture bien rythmée, agrémentée par les dialogues frais et enjoués d’un gamin surdoué et d’une bisaïeule parfois un peu perdue, un langage argotique et à moitié abrégé d’une jeunesse moderne, voilà pour le style délicieux de l’auteure. Un texte haut en couleur, porté toutefois par des sentiments divers, tellement humains, comme les regrets, la culpabilité, la tristesse, les anciennes douleurs, mais finalement, l’amour et la joie retrouvés.
Une fiction avant-gardiste qui interpelle le lecteur dans une société où tout passe par le net et la technologie dans lesquels certains, jeunes ou moins jeunes, tendent à se perdre. Et qui pose alors question sur l’avenir même des relations humaines et de leur qualité. Le gage du bonheur serait-il ailleurs, dans les petits plaisirs simples de la vie, loin du matérialisme tape-à-l’œil, de l’argent facile et des faux amis ? Est-ce si difficile de revenir à l’essentiel ?
Un roman à ne surtout pas manquer ! Recension Marylène Rittiner
Extrait pages 59 à 61
[…] Elle est en train d’entasser des bûches quand le nom de Shu s’affiche sur l’écran. Un torrent de plaintes, de doléances et de récriminations s’échappe de l’appareil. Clémence respire un bon coup. Surtout ne pas s’énerver. Supporter sa petite-bru est une maigre concession en échange du plaisir que lui procure la présence de l’enfant. « Il est parti faire un tour, il vous rappellera dès son retour », ment-elle sans vergogne. L’explication déclenche une avalanche de questions. S’est-il habillé assez chaudement ? Ne risque-t-il pas de faire de mauvaises rencontres ? A-t-il au moins emporté son GPS ?
– Détendez-vous Shu, c’est un grand garçon qui se débrouille très bien. Et il prend l’air comme vous le lui avez demandé, plutôt que de se connecter à longueur de journée, ose Clémence.
C’est le moment que choisit Loïc pour débouler au salon. Encore en pyjama, les yeux tout collés déjà rivé sur son Smartphone. D’un doigt impérieux sur les lèvres, Clémence l’enjoint de se taire.
– Ah, le voilà justement qui revient. Oh, comme c’est gentil, il est allé acheter le pain, ajoute-t-elle avec un clin d’œil appuyé. Je vous le passe.
Le garçon consacre un patient quart d’heure à corroborer le mensonge de son aïeule, puis à rassurer toutes les inquiétudes de sa mère. Léa approuverait-elle tant d’ingérence ? se demande Clémence en écoutant quelques bribes de cette conversation qui s’enlise. Elle sait qu’elle-même a plutôt pêché par excès d’insouciance, sa fille le lui a assez dit. Mais ces deux femmes qui accaparent à distance son jeune visiteur l’agacent plus qu’elle ne veut se l’avouer.
– Comment tu fais pour supporter d’être pisté vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? questionne-t-elle quand, enfin, on lui rend son Loïc.
L’enfant se gratte la tempe, perplexe :
– C’est que j’ai connu que ça… Je pensais, les gènes, z’avaient tous ça dans le sang. Pis, j’ai mes tricks, ajoute-t-il avec un sourire énigmatique. Tu sais, Surmam, le monde d’aujourd’hui, l’est divisé entre les largués du numérique et ceux qui savent en profiter. Mes ancêtres ont beau être nés avec, ils maîtrisent pas vraiment.
– Toi, par contre, t’as pas l’air né de la dernière pluie. Dis-moi ton secret. Promis, je ne cafterai pas.
– Pas de pli. J’ai le bon feeling avec toi. T’a beau être surmature, tu juges pas. Respect. Ben, tu vois, mon dronard, avec Google map, j’y programme un parcours. Comme ça, il se tape la walk à ma place pendant que je reste à couvert. Avec la téléspy, les ancêtres y voient que du feu. Mais tu me diras, un dronard, ça fly plus vite qu’un piéton.
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