1352, un médecin contre la tyrannie, Philippe Favre

1352, Un médecin contre la tyrannie

Philippe Favre, roman historique Edition Favre SA. Lausanne, 2014

Philippe Favre nous emmène dans le Valais du Moyen-âge, avec ses luttes de pouvoir entre l’évêque de Sion et les communes, entre le Haut et le Bas Valais, avec ces coalitions entre la montagne et la plaine. C’est une fresque historique très riche qui décrit les conditions de vie des uns et des autres, les liens entre les pays voisins, la royauté, la chrétienté, dans une période très foisonnante. Le Valais était loin d’être isolé dans l’Europe.

Hormis cette dimension historique, l’auteur tient en haleine le lecteur avec l’histoire d’un homme que les circonstances de la vie ont révélé : Guillaume Perronnet. Grâce à un acte valeureux mais spontané, le jeune homme se retrouve l’ami d’un futur roi qui lui permet de faire des études de médecine à Bologne et lui offre sa protection et son soutien dans ses combats « politiques » dans lesquels il est engagé bien malgré sa nature. Certes l’histoire est parfois trop belle, proche du merveilleux, car Guillaume Perronnet, survit à la lèpre à la peste noire, aux lances et autres dagues sur les champs de combat dans lesquels ils s’est engagé pour défendre l’indépendance et la dignité du peuple qu’il représentait. L’histoire d’un valaisan de Loèche digne des plus grandes épopées. Quel bien ça fait de connaître le destin d’un héros bien de chez nous, un indigné qui a ouvert la voie!

Un autre ingrédient donne à 1352 une étoffe très humaine en faisant la part belle à une histoire d’amour pour une rebelle très particulière. Des cours d’histoire sous cette forme, on en redemande ! Et c’est passionnant de voir ce qui n’était à l’origine qu’un simple désir de se documenter sur le château de Beauregard produire un ouvrage aussi complet et captivant.  Recension: Romaine Kalbermatter

Extrait P. 278 279, chap. XXXVII (Le vent qui rend fou)

Le foehn dévale les pentes, par bourrasques rageuses. Les jeunes pousses de vigne, afflolées, fouettent sans relâche leur échalas protecteur qui, traîtreusement, déchiquette le tendre feuillage.

Le mois d'avril avait été choisi à bon escient. Pierre de la Tour adressa à Guillaume un sourire satisfait. L'approche se déroulait selon leur plan. Du haut de la colline de Planchette*, ils observaient les gens de Louèche, Viège et Rarogne s'avancer dans le marais, contournant la colline en face d'eux. Prendre le château de Sierre en un jour, tel était leur objectif. Pourtant, le mur d'enceinte était impressionnant, s'étirant sur plus de quatre cents pas.
– Sa longueur c'est sa faiblesse, avait diagnostiqué Pierre.

Il avait raison. Malgré l'importante garnison, les défenseurs n'étaient pas assez nombreux pour placer un homme derrière chaque créneau. La stratégie consistait donc à attaquer en de nombreux points afin d'obliger la défense à dégarnir certaines sections du chemin de ronde. L'arrivée des rebelles n'était pas passée inaperçue et les archers avaient bien décoché quelques volées de flèches. Mais Pierre avait indiqué à quelle distance se tenir. Les traits échouaient donc parmi les roseaux, sans inquiéter les hommes progressant impunément à travers le marais presqu'à sec en cette période de l'année.

La veille, Pierre et Guillaume, postés sur le surplomb de Périgard, avaient soigneusement étudié le dispositif de défense du château de Sierre en contrebas. Quatre bricoles** étaient prêtes à expédier leurs boulets de pierre sur les assaillants. Elles pouvaient être déplacées selon l'endroit où se porteraient l'attaque. Les deux chefs de la révolte avaient donc laissé des consignes aux sentinelles de Périgard qui, du haut de leur nid d'aigle, indiquaient en permanence par des mouvements de bannières où se trouvaient les portions de muraille dégarnies.
– Ne crains-tu pas qu'au bout d'un moment, les défenseurs décodent nos signaux et s'en servent pour prévoir le lieu de l'attaque?
– Ne t'en fais pas, répondit calmement Piere. Plus l'ennemi prend conscience de notre avantage, mieux cela sape leur courage.

Au signal, il était convenu qu'une première colonne approcherait pour un tir de flèches enflammées. Le vent fou d'avril, chaud et sec, s'impatientait, il voulait prendre part à l'anéantissement de Sierre. Il porterait les flèches jusqu'à leur cible, attiserait les flammes, les disséminerait sur les toits du bourg; mais la complicité du foehn allait plus loin. Il avait desséché la colline qui n'était plus que combustible, et surtout, il avait soufflé la révolte dans la vallée du Rhône, menant au point d'incadescence la braise qui couvait dans les coeurs. Cette braise s'appelait "patriotisme".
– A toi de donner le signal.

Sans l'ombre d'une hésitation, Guillaume éleva la bannière et la pointa en direction du château de Sierre. Je viens de déclencher la guerre.*** Pierre le lui avait prédit, bien des années auparavant: "Si tu ne choisis pas ton camp, alors un camp te choisira." Il avait donc fait son choix.
Mais personne n'avait prédit qu'avant cela, la terre du Vallais allait déjà se trouver divisée en deux camps: celui des morts et celui des vivants.

* Colline de Planzette à Sierre
** Catapultes relativement légères destinées à la défense des châteaux forts.
*** La destruction du château du Vieux-Sierre, sous la conduite de Pierre de la Tour et des communes de Louèche, Viège et Rarogne eut lieu en avril 1352. Le médecin Guillaume Perronnet fut le principal instigateur du soulèvement patriotique.

L'auteur

Philippe Favre est enseignant. Intéressé par l'histoire de son canton, il s'est lancé sur la trace de Guillaume Perronet, le médecin instigateur de la lutte pour l'indépendance des communes valaisannes s'appuyant sur des documents historiques.

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